Posture nucléaire de l’OTAN et maîtrise des armements
Observatoire de la dissuasion n°125
décembre 2024
Plusieurs expert et instituts se sont récemment penchés sur la posture nucléaire de l’OTAN. Du côté du James Martin Center for Nonproliferation Studies, Miles Pomper, David Santoro et Nikolai Sokov ont analysé l’évolution du paysage stratégique, en Europe et en Asie, avant d’étudier la manière dont l’OTAN devrait réagir et en particulier se positionner en matière de maîtrise des armementsMiles Pomper, David Santoro et Nikolai Sokov, The Future of NATO’s Nuclear Posture and Arms Control in Today’s More Dangerous World, CNS Occasional Paper, #62, septembre 2024.. Leur étude détaille les changements de postures et les évolutions des arsenaux russes et chinois. En particulier, elle analyse dans le détail la politique nucléaire de Moscou depuis le début de la guerre en Ukraine. Les auteurs jugent que le risque nucléaire est demeuré faible tout au long du conflit, et que le franchissement des lignes rouges russes par l’OTAN conduirait avant tout à une riposte conventionnelle. Néanmoins, ils soulignent les risques potentiels d’escalade. Ainsi, ils montrent la mauvaise compréhension occidentale des lignes rouges russes : pour les auteurs, il ne faut pas attendre une réaction russe à une décision occidentale de franchir un seuil dans son assistance à l’Ukraine de manière immédiate. Au contraire, la Russie attendrait vraisemblablement de voir dans quelle mesure cette action l’empêche de poursuivre la guerre. Le décalage temporal entre la décision occidentale et la réaction russe pourrait engendrer des risques d’escalade. Par ailleurs, l’étude s’attarde sur les exercices nucléaires des forces non-stratégiques russes et en particulier celui de l’été 2024, particulièrement médiatisé, clairement destiné à envoyer un message à l’OTAN sur le rôle et la capacité des armes non-stratégiques.
Enfin, le chapitre sur la Russie insiste sur les différents scénarios pouvant conduire à une escalade entre l’OTAN et la Russie, par exemple le ciblage de forces alliées en Ukraine, la frappe sur des installations ou armes destinées à l’Ukraine sur le territoire d’un pays de l’OTAN, ou un incident maritime en mer Baltique. Les auteurs rappellent néanmoins que les premiers échelons d’escalade dans ce type de situation seraient vraisemblablement conventionnels, avec éventuellement le choix d’effectuer un essai nucléaire au cours de l’escalade. Ils en concluent que le rôle des armes nucléaires reste limité dans le cadre du conflit en Ukraine et se concentre sur le fait d’empêcher une défaite stratégique de la Russie liée à l’intervention directe des forces occidentales, défaite qui conduirait à l’effondrement du régime politique.
Concernant la Chine, le rapport permet là-encore de lister les derniers développements nucléaires et de s’interroger pour ses conséquences stratégiques pour les Etats-Unis et ses alliés. Il pointe le risque de voir s’appliquer le paradoxe de la stabilité-instabilité, la Chine pouvant se montrer plus prône à prendre des risques au fur et à mesure que sa dissuasion nucléaire semble plus crédible et assurée. Les auteurs développent également les implications de l’alliance russo-chinoise.
Si les auteurs soulignent les différentes options défendues à Washington et en particulier par la Strategic Posture Commission, ils estiment qu’il faut poursuivre l’objectif de maîtrise des armements avec à la fois Moscou et Beijing. En Europe, ils notent que la stratégie historique dite « dual-track » semble conserver sa pertinence, avec un renforcement de la posture de dissuasion et de défense permettant à la fois d’avoir une posture plus forte dans les négociations mais également de disposer éventuellement de « bargaining chips ». Ils proposent à ce titre de réfléchir au déploiement de missiles de croisière nucléaires dans des pays de l’OTAN, au déploiement de systèmes terrestres nucléaires ou conventionnels, à des changements sur la mise en œuvre de la mission de partage nucléaire de l’OTAN lui permettant d’être plus résiliente. Pour les auteurs, beaucoup de ces mesures peuvent être directement associées à des efforts de maîtrise des armements, avec potentiellement des tentatives spécifiques d’obtenir des concessions de la part de la Russie en échange au renoncement de certains déploiements.
Les auteurs reprennent les propositions de Rose Gottemoeller concernant un traité successeur au traité FNI, s’appuyant sur un moratorium sur les systèmes terrestres nucléaires, et jugent que la France et le Royaume-Uni devraient se montrer ouverts sur le principe à participer à des négociations de maîtrise des armements.
Le rapport indique que les limites numériques ont peu de pertinence dans le contexte actuel. En revanche, il est important pour l’OTAN de continuer à faire preuve de transparence et de prédictibilité, préservant dans la mesure du possible le type de notifications et d’échange d’informations liée au traité New Start.
Ce type de maîtrise des armements est en particulier à privilégier s’agissant de la Chine, avec la nécessiter de rechercher un dialogue stratégique large qui permettent aux deux parties de s’exprimer sur les systèmes qui les préoccupent. Ils estiment qu’un forum multilatéral, s’inspirant du processus d’Helsinki pendant la guerre froide, pourrait être utile en Asie pour favoriser un dialogue sur la maîtrise des armements et la réduction des risques. Des discussions informelles devraient également se poursuivre sur différentes mesure de transparences et mesures de confiance, sur le modèle de ce qui existe encore sur le théâtre Euro-atlantique.
De leur côté, William Alberque et Artur Kacprzyk proposent dix options pour renforcer la dissuasion nucléaire de l’OTAN, à mettre en place en EuropeWilliam Alberque et Artur Kacprzyk, « More Pillars Needed: Ten Options for Europe to Improve NATO’s Nuclear Deterrence », Stimson Center, 2 octobre 2024. : la certification à l’emport d’armes nucléaires de davantage de chasseurs-bombardiers, l’adaptation de davantage de bases aériennes à l’accueil d’armes nucléaires, une participation plus large des alliés aux missions d’accompagnement des raids nucléaires, un message plus fort et fréquent de l’ensemble des alliés sur le caractère nucléaire de l’alliance, un renforcement de la résilience du territoire européen à une attaque nucléaire et une amélioration des capacités de défense anti-aérienne et anti-missile, une augmentation de la capacité de planification et d’exercice nucléaires, le développement de nouveaux vecteurs pour porter la capacité nucléaire déployée en Europe, un renforcement des capacités conventionnels des alliés et une plus grande contribution de la France et du Royaume-Uni à la dissuasion otanienne. Plusieurs responsables de l’Alliance ont jugé très utile d’avoir ce catalogue d’options qui servira sans doute de base aux réflexions des alliés sur le sujet.