Le nucléaire dans la campagne électorale américaine 2020

La fin du premier mandat de Donald Trump est marquée par de nombreuses questions sur la politique nucléaire du pays : quelles perspectives dans le domaine de la maîtrise des armements après la fin du Traité FNI ? Le traité New START doit-il être prolongé ? Le pays doit-il réintégrer le JCPOA ? Quelle position adopter face à la Corée du Nord ? La doctrine et le programme de modernisation américain sont-ils pertinents ? Autant de questions auxquelles les candidats à l’élection présidentielle de 2020 doivent répondre.

De manière habituelle, les questions nucléaires ne figurent nullement dans les priorités des électeurs américains.Zach Hrynowski, Several Issues Tie as Most Important in 2020 Election, Gallup News, 13 janvier 2020. Pour autant, le contexte rend le sujet impossible à ignorer. Dans une enquête menée par l’Union of Concerned Scientists dans plusieurs états américains (Géorgie, Iowa, Michigan, New Hampshire et Ohio), plus de 80% des adultes interrogés affirment  qu’il est fondamental que les candidats à la prochaine élection présidentielle s’expriment sur les nombreuses incertitudes en matière de politique nucléaire militaire.« Tell 2020 Presidential Candidates: Make Preventing Nuclear War a Priority », Union of Concerned Scientists, consulté le 20 janvier 2020. De fait, l’ONG Council for a Livable World a, quant-à-elle, interrogé directement les candidats à la présidentielle notamment sur le traité New START, la politique de « first use » et la modernisation et éventuelle augmentation du stock d’armes nucléaires américain.Anna Schumann, « Introducing NukeVote2020: Where Candidates Stand on Nuclear Weapons Policy Issues », Council for a Livable Future, 11 septembre 2019.

Alors que les primaires démocrates vont démarrer dans l’Iowa en février 2020, l’ensemble des candidats démocrates jugent impératif de renouveler le traité New START avec la Russie en 2021, tant que les deux pays respectent leurs engagements. Joe Biden (en tête des sondages aujourd’hui avec 28% des intentions de vote),«2020 Democratic Presidential Nomination», Real Clear Politics, consulté le 20 janvier 2020. Bernie Sanders (second avec 20%), Pete Buttigieg, Amy Klobuchar, Tom Steyer et Marianne Williamson soulignent l’importance des traités internationaux en matière de maîtrise des armements et soutiennent unanimement que, sous leur mandat, les États-Unis signeront le renouvellement du Traité New Start. La sénatrice Elizabeth Warren (qui clôt le trio de tête des candidats avec 14% des intentions de vote), quant à elle, critique fermement le retrait américain du traité FNI et estime que cette décision est « yet another example of the Trump’s Administration dangerous and costly embrace of nuclear weapons ».Jamie Kwong, « US Democratic Party candidates for the White House are beginning to tackle nuclear challenges in their election campaigns », RUSI, 9 avril 2019. Pour Elizabeth Warren, il est fondamental d’aller plus loin en matière de contrôle des armements à l’échelle internationale. A ce titre, elle soutient, tout comme Joe Biden, Pete Buttigieg, Amy Klobuchar et Bernie Sanders la ratification du TICE.Tara Drozdenko, «Where Do the Democratic Candidates Stand on Nuclear Weapons? », Outrider Post, consulté le 20 janvier 2020.

De plus, la majorité des candidats démocrates se positionne en faveur d’un infléchissement de la doctrine nucléaire américaine vers le non-emploi en premier (no first use). C’est le cas d’Elizabeth Warren qui, pendant toute sa campagne, a martelé que sous sa gouvernance, les États-Unis n’utiliseraient jamais l’arme nucléaire en premier. Elle a d’ailleurs introduit aux côtés d’Adam Smith, président démocrate de la commission des Forces armées à la Chambre des représentants, son « No First Use Act » en janvier 2019.« S.272 - A bill to establish the policy of the United States regarding the no-first-use of nuclear weapons. », S.272, introduit au Sénat par Elizabeth Warren le 30 janvier 2020. La sénatrice Warren veut que « deterrence is the sole purpose of our arsenal ». Warren et Smith ont ajouté : « By making clear that deterrence is the sole purpose of our arsenal, this bill would reduce the chances of a nuclear miscalculation and help us maintain our moral and diplomatic leadership in the world ».Senator Warren, Chairman Smith Unveil Legislation to Establish "No-First-Use" Nuclear Weapons Policy, Press Release, warren.senate.gov, 30 janvier 2019. Bernie Sanders se positionne également contre la politique actuelle et soutient le « No First Use Act » lancé par Elizabeth Warren.Tara Drozdenko, op. cit.

Avant la fin du mandat du président Obama, Joe Biden affirmait dans un discours sur la sécurité nucléaire que le « sole purpose » (unique vocation) des armes nucléaires est d’être une arme de riposte. Néanmoins, il expliquait également: « Arms control is integral to our national defense and—when it comes to nuclear weapons—to our self-preservation […] And so long as other countries possess nuclear weapons that could be used against us, we too must maintain a safe, secure, and effective nuclear arsenal to deter attacks against ourselves and our allies. ».Joe Biden, «Remarks by the Vice President on Nuclear Security», Office of the Vice President, 12 janvier 2017.Pour autant, au cours de la campagne, il s’est positionné en faveur du projet de loi introduit par Elizabeth Warren.Nukevote 2020, Council for a Livable World, consulté le 20 janvier 2020. Son programme indique son engagement en ce sens.Biden President, « As he said in 2017, Biden believes the sole purpose of the U.S. nuclear arsenal should be deterring—and if necessary, retaliating against—a nuclear attack. As president, he will work to put that belief into practice, in consultation with our allies and military. », 2020. Au-delà de ce trio de tête, d’autres ont un discours plus ambivalent. Cory Booker et Amy Klobuchar refusent de se positionner sur la question du « no first use ». Pete Buttigieg, lui, n’imagine pas un scénario où les États-Unis auraient recourt à l’arme nucléaire en premier, mais craint néanmoins qu’une politique de « no first use » mène à la prolifération nucléaire. Steve Bullock était le seul à s’exprimer en faveur du maintien de la doctrine en vigueur, mais s’est aujourd’hui retiré de la liste des candidats démocrates.Tara Drozdenko, op. cit.

Le troisième point abordé par le Council for a Livable World concerne la volonté ou non de chaque candidat de continuer à investir afin d’entretenir l’arsenal nucléaire américain. Certains candidats s’accordent à dire que le plan de modernisation de la Triade est excessif,  comme Elizabeth Warren, qui s’est notamment engagé à ne pas financer d’armes nucléaires supplémentaires, et en particulier pas d’armes de faible puissance.« Warren Outlines Vision for a Foreign Policy That Works for All Americans », discours d’Elizabeth Warren à American University, warren.senate.gov, 29 novembre 2018. La majorité des candidats réticents quant au budget actuellement alloué à l’arsenal nucléaire américain alertent d’ailleurs sur le danger que représentent de telles armes pour le pays et le monde. Marianne Williamson a déclaré: « Nuclear weapons are extremely dangerous and make us less safe ». Bernie Sanders fait du désarmement un thème de campagne et a declaré: « We need to bring the United States and the rest of the world together to do everything we can to rid this world of nuclear weapons». Tom Steyer s’est également exprimé sur le sujet: « Those who’ve created these weapons have a responsibility to get rid of them».  Contrairement à Bernie Sanders et Tom Steyer, Amy Klobuchar n’est pas en faveur d’une dénucléarisation totale, mais soutient plutôt une politique de réduction du stock d’armes nucléaires américain : « The United States must maintain a modern nuclear deterrent while working through bilateral and multilateral agreements to reduce stockpiles of nuclear warheads». Joe Biden a, lui,  un discours plus nuancé. Tandis qu’il déclare « [Nuclear powers should] over time, ultimately denuclearize » et ajoute « If we want a world without nuclear weapons, the United States must take the initiative to lead us here» ; il explique que tant que d’autres Etats possèdent des armes nucléaires pouvant être utilisées contre les États-Unis ou leurs alliés, le pays doit impérativement maintenir son arsenal nucléaire de façon à avoir une force de dissuasion solide.Ibid.

Par ailleurs, The New York Times s’est chargé d’interroger plusieurs candidats démocrates sur la présence des bombes nucléaires américaines B61, en Turquie.« The Choice », The New York Times, janvier 2020, Certains candidats démocrates tels que Joe Biden et Bernie Sanders expriment clairement leur inquiétude quant à la présence d’un arsenal nucléaire américain en Turquie : « The answer is my comfort level is diminished a great deal […] The answer is yes, I’m worried » (J. Biden), « I’m not comfortable about nuclear — no, I’m not » (B. Sanders). Bernie Sanders montre à cette occasion sa connaissance approximative de la question, ne sachant donner le nombre d’Etats nucléaires. Les autres candidats démocrates ne se sont pas exprimé clairement sur la présence d’un arsenal nucléaire américain sur la base turque d’Inçirlik et aucun candidat démocrate n’envisage expressément le retrait de ces armes du territoire turc. Cory Booker est le seul à déclarer ne pas être inquiété de la présence de telles armes en Turquie: « At this point I feel comfortable with American nuclear weapons being in Turkey, but I do believe, especially under this president [Donald Trump] that he is a president that seems to precipitate crises or worsen crises».  Amy Klobuchar affirme, quant à elle, vouloir conserver l’arsenal nucléaire américain stationné sur la base turque d’Inçirlik, comme un moyen de maintenir une présence dans la région: « So I think that we would want to still keep those strategic nuclear weapons there, but it’s all the more reason that we want to keep pushing Turkey and working with Turkey, but at the same time, I don’t think we want to give up that foothold right there».

Enfin, tous les candidats aux primaires démocrates ont fait état de leur souhait de rejoindre le JCPOA, dans la mesure où l’Iran en respecte les termes.Would you reenter the Iran nuclear deal signed by the Obama administration?, Where Democrats Stand, The Washington Post, consulté le 20 janvier 2020.

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