La politique nucléaire de la France en Iran : un échec depuis 1970 ?

Clément Therme, chercheur spécialiste réputé de l’Iran, vient de publier une analyse critique du rôle de la France sur le dossier nucléaire iranien depuis les années 1970. Ce récit s’appuie sur l’analyse des archives en particulier du côté de l’Iran et de la France, ainsi que des entretiens avec des protagonistes ayant traité de ce dossier dans les années récentes. Il met en lumière l’évolution des positions à Paris et les intérêts différenciés des différents acteurs ayant été impliqués sur ce sujet. Ainsi, sous l’ère du Shah, une affinité politique héritée de la période gaullienne et des intérêts économiques marqués après le premier choc pétrolier sont à l’origine des projets de coopération majeurs signés entre les deux pays dans le domaine du nucléaire. Ces projets sont brutalement interrompus lors de la révolution islamique. Pour Clément Therme, il a été envisagé dans les années 1990 de réinvestir en Iran, sous l’impulsion des milieux économiques et des experts régionaux. Néanmoins, il note qu’à partir de 2007, Nicolas Sarkozy, sous l’influence de la « secte stratégique » et des « faucons » du dossier iranien, décide de prioriser la question de la prolifération nucléaire aux dépens des autres considérations stratégiques, politiques ou économiques.

Selon cette analyse, la France connaît une rupture diplomatique en 2005-2007, principalement due à un approfondissement des relations bilatérales avec les monarchies du Golfe et Israël, l’influence du CEA et son inquiétude en matière de prolifération, et l’adoption d’une politique plus « atlantiste ». Mais Clément Therme juge que ce revirement n’est pas admis officiellement, avec un discours officiel qui privilégie la continuité de la position française depuis 2003.

Clément Therme insiste sur les biais de l’analyse française, et en particulier sur la terminologie utilisée, conduisant selon lui à accentuer les risques posés par la prolifération horizontale, en particulier dans un pays islamique, avec une connexion jugée « artificielle » entre le programme mené et la nature du régime. Reprenant les postulats de B. Pelopidas, il estime que ce discours est contestable et contesté dans la mesure où il se base sur une analyse différenciée entre des programmes nucléaires légitimes (ceux du P5) et les autres.

L’analyse de Clément Therme critique le récit diplomatique français concernant la négociation du Plan d’accord conjoint (JCPOA), qui selon lui minimise l’effet des changements politiques à Washington, ainsi que le rôle des échanges diplomatiques directs entre Américains et Iraniens, et exagère le poids diplomatique et économique des Européens dans les négociations depuis 2006. Il estime que le pessimisme français en réaction aux ouvertures diplomatiques du président Obama et la volonté des diplomates français de jouer le rôle de « bad cop » étaient teintés d’« ethnocentrisme », et bâtis sur une représentation caricaturale d’un Iran incapable de respecter ses engagements et ne pouvant comprendre que le « langage de la force ».

Enfin, il dénonce les limites de la politique française de médiateur, souhaitée par le Président Macron en réaction au retrait américain du JCPOA. Ces limites sont avant tout liées à l’absence de poids économique, les entreprises françaises ayant tendance à se référer avant tout aux directives américaines pour éviter les sanctions extraterritoriales, mais aussi aux relations fortes entre Paris et des États hostiles à l’Iran au Moyen-Orient.

Cette lecture très critique de la politique française en Iran suscitera sans doute des réactions et sera peut-être contredite par certains acteurs impliqués mais présente l’intérêt d’interroger la politique française sur le dossier nucléaire iranien et de nourrir une histoire diplomatique qui reste largement à écrire à ce sujet.

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La politique nucléaire de la France en Iran : un échec depuis 1970 ?

Bulletin n°109, mai 2023



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