Sommet du G7 à Hiroshima et débat sur le nucléaire au Japon
Observatoire de la dissuasion n°109
Valérie Niquet,
juin 2023
Le sommet du G7 2023 s’est tenu du 19 au 22 mai à Hiroshima. Le Premier ministre Fumio Kishida en avait fait une de ses priorités dès sa nomination en 2021. La famille Kishida est en effet originaire de Hiroshima où, depuis trois générations, les ainés occupent le siège de député d’une circonscription locale. Fumio Kishida est l’élu de la 1ère circonscription depuis 1996, et son fils aîné, selon la règle des dynasties japonaises de politiciens, devrait lui succéder« 首相核軍縮えヒロシマアクシオンプラン表明若者の被爆地訪問基金に1000万ドル拠出 »(Le Premier ministre présente son « Hiroshima action plan » pour le désarmement nucléaire et verse 10 millions de dollars au fonds de visite des jeunes aux sites victimes de frappes nucléaires), Yomiuri Shimbun online, 2 août 2022.. La dimension politicienne locale est donc importante dans le positionnement du Premier ministre, qui a fait de la paix et du désarmement nucléaire son cheval de bataille. Ce faisant, il occupe aussi une niche traditionnelle de la politique extérieure du Japon depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Dans les mois qui ont précédé le sommet, le discours constamment martelé au Japon a focalisé l’importance du sommet sur la ville de Hiroshima et la question nucléaire, qualifiée « d’enjeu le plus important », l’objectif étant d’obtenir du G7 un signal fort pour relancer la marche vers l’abolition des armes nucléairesArielle Busetto, « G7 Summit: Japan Intends to show strong leadership on nuclear issue, China and the Global South » (Interview de Noriguki Shikata, Cabinet Secretary for Public Affairs), Japan Forward, 15 mai 2023 ; Yomiuri Shimbun online, op. cit. « 岸田総理インタヴュー : 広島G7セミっとに向け戦争被曝国として » (Interview du Premier ministre Kishida : vers le sommet du G7 de Hiroshima en tant que pays ayant subi un bombardement atomique), NHK Seijimagajin, 16 mai 2023.. Les autres thématiques, reprenant les termes convenus pour un Indo-Pacifique libre et ouvert, le refus de tout changement de statu quo par la force, le respect de l’État de droit, le soutien à l’Ukraine, les sanctions contre la Russie et la stabilité dans le détroit de Taïwan, apparaissant plus comme une litanie de notions destinées à positionner le Japon comme un acteur engagé sur la scène internationale.
La vision de Kishida pour le désarmement nucléaire
Premier Premier ministre japonais à participer à la conférence de révision du TNP en 2022, Fumio Kishida y a présenté son Hiroshima Action Plan pour un monde sans armes nucléaires. Le plan propose la poursuite du non-usage de l’arme nucléaire, une meilleure transparence, dont la publication d’éléments concernant la production de matériaux fissiles, la poursuite du déclin tendanciel du nombre d’armes nucléaires, la lutte contre la prolifération et la visite des sites des villes bombardées par les dirigeants de tous les pays. Lors du sommet de Hiroshima, Kishida a obtenu que l’ensemble des chefs d’État des pays du G7 acceptent de visiter le musée pour la paix, en dépit, semble-t-il, de réticences initiales de la part des puissances nucléairesYomiuri Shimbun online, op. cit. ; « G7首脳ヒロシマ原爆資料館へ初訪問難航した水面下交歩 » (Première visite des dirigeants du G7 au musée de la bombe atomique de Hiroshima), NHK Seijimagajin, 18 mai 2023..
Lors du sommet des ministres des Affaires étrangères du G7 au mois d’avril 2023, le ministre japonais Hayashi avait pu « expliquer » le plan à ses homologues et obtenu que le Hiroshima Action Plan soit mentionné comme une « contribution bienvenue »« G7 foreign ministries meeting in Karuizawa Nagano: overview of the nuclear disarmament and nonproliferation session », Ministry of Foreign Affairs of Japon, 18 avril 2023.. Mais au-delà de ce discours à vocation essentiellement interne, tout en positionnant le Japon en tête des pays non nucléaires, les contradictions avec les attentes du Japon en matière de sécurité globale demeurent irréductibles.
Fin du nucléaire et dissuasion : un « en même temps » à la japonaise
Dans un improbable exercice d’équilibrisme entre « idéal » et « réalité », le Premier ministre japonais et le ministère des Affaires étrangères soulignent que, face à une situation stratégique difficile, il n’est naturellement pas possible d’abandonner les armes nucléaires immédiatement, mais qu’il demeure nécessaire d’avancer « avec courage »NHK Seijimagajin, op. cit..
Faisant le lien avec la guerre en Ukraine qui, pour les autres puissances, s’est imposée au sommet du G7, Tokyo mentionne le chantage nucléaire de la Russie, la suspension de la participation russe au traité New Start, mais aussi le développement des capacités nucléaires et balistiques de la Corée du Nord et les activités nucléaires de l’Iran« G7 foreign ministries meeting in Karuizawa Nagano: overview of the nuclear disarmament and nonproliferation session », op. cit.. La guerre en Ukraine, et les actions de la Russie, éloignent donc un peu plus l’objectif d’abandon des armes nucléaires défendu par TokyoArielle Busatto, op. cit.. En Asie, et c’est sans doute le plus important pour le Japon, la situation est définie par le Premier ministre comme « instable »NHK Seijimagajin, op. cit.. La Chine menace l’ordre régional et la stabilité dans le détroit de Taïwan. En cas de conflit, le Japon se trouverait en première ligne face à une puissance nucléaire. Dans ces conditions le Japon refuse de remettre en cause le parapluie nucléaire américain.
Dans l’archipel, le débat s’est notamment focalisé sur le TIAN signé en 2017. Le Japon n’y a pas adhéré et n’a pas participé à la première réunion des États membres qui s’est tenue au mois de juin 2022. Au sein du gouvernement, le Komeito, parti partenaire du PLD (parti libéral démocrate) au pouvoir, soutient la participation du Japon qui prétend placer – et particulièrement le Premier ministre Kishida – le combat contre le nucléaire militaire au cœur de son positionnementDaniel Hogsta, « Delivering on nuke disarmament », Japan Times, 18 mai 2023.. Pour le Premier ministre toutefois, si le traité est « très important », le moment d’y adhérer n’est pas venu, le Japon devant intégrer « une réalité difficile, en prenant en compte plusieurs cadres, dont celui de la dissuasion nucléaire »NHK Seijimagajin, op. cit.. Manière contournée d’indiquer que la nécessité de préserver l’engagement des États-Unis, seul allié du Japon, l’emporte sur toute autre considération et qu’en matière de dissuasion nucléaire, même indirecte, le Japon ne peut pas se démarquer des puissances dotées.
Comme le précise le Premier ministre dans une interview donnée à la veille du sommet du G7 : « Le Japon doit défendre le désarmement nucléaire et la non-prolifération d’une manière qui permette de préserver la confiance avec les États-Unis, le seul allié du Japon en matière de défense »Ib.. Il souligne également que tout effort futur devrait impliquer la Russie, la Chine mais également les États nucléaires non membres du TNP, semblant impliquer une forme de reconnaissance accordée à l’Inde, au Pakistan, mais aussi peut-être à la Corée du Nord et aux autres États nucléaires de faitIb..
Le débat sur le nucléaire au Japon
Dans la communauté stratégique japonaise, proche de l’ancien Premier ministre Shinzo Abe et favorable à une évolution de la politique de défense du Japon vers plus d’engagement, on déplore que la question nucléaire soit toujours un « tabou ». Pour Tetsuo Kuroe, ancien vice-ministre de la Défense, le Japon doit aborder la question nucléaire. Il regrette que cet enjeu majeur ne soit abordé dans la nouvelle stratégie de défense nationale qu’au travers de rappel des trois principes non nucléaires définis en 1967 par le Premier ministre Eisaku SatoKen Moriyasu, « Why a ballistic sub can visit South Korea but not Japan », Nikkei Asia, 17 mai 2023. Les trois principes non nucléaires sont la non-production, la non-possession et la non-introduction d’armes nucléaires sur le territoire japonais. Ils ont été interprétés très largement en incluant les sous-marins à propulsion nucléaire. Pour la première fois depuis 1981, un sous-marin nucléaire américain de la classe Ohio (USS Maine) devrait faire escale en Corée du Sud en 2023..
En février 2022, un groupe d’étude composé d’anciens officiers des trois armes des forces d’autodéfense (FAD) dirigé par Ryoichi Okiri, ancien chef d’État-major des FAD, a proposé que le Japon assouplisse le troisième principe, en autorisant l’entrée sur le territoire japonais de bâtiments à propulsion nucléaire, potentiellement porteurs de missiles nucléaires et d’avions également potentiellement équipés d’armes nucléaires« Ryoichi Oriki former chief of staff interview: new security strategy must underline threat posed by Beijing », The Japan News, 20 janvier 2022.. Les débats devraient également porter, selon ce groupe d’étude, sur les ripostes possibles face au développement de l’arsenal nucléaire chinois et de la menace nord-coréenneCertains s’inquiètent aussi du soutien de l’opinion publique sud-coréenne à l’acquisition de capacités nucléaires dissuasives face à la Corée du Nord et interprètent la visite du sous-marin nucléaire américain USS Maine comme le moyen de limiter cette tentation en réaffirmant l’engagement des États-Unis aux côtés de Séoul. La crainte exprimée par certains analystes est celle d’une frappe tactique (si la Russie ouvrait la voie) à laquelle les États-Unis ne répondraient pas pour éviter l’escalade. Hiroyuki Akita, « Why nuclear arms debate in South Korea cannot be underestimated », Nikkei Comment, 5 mai 2023..
Mais si le débat existe dans un cercle restreint, il est loin de refléter une position majoritaire au sein du gouvernement, ni même au sein du PLD où plusieurs factions, dont celle du Premier ministre, très hostile aux armes nucléaires, se divisent. Selon un sondage effectué en 2021, 75 % des personnes interrogées soutenaient l’adhésion du Japon au TIAN, avec un taux de non-réponse très bas de 6 %Miho Kuwajima, « 75% of Japan’s public backs TPNW in poll by US researchers », Chugoku Shimbun, 22 mars 2021.. Face à la persistance de ce sentiment anti-nucléaire dans l’opinion publique japonaise, la solution proposée par le groupe de travail est de lier l’assouplissement des trois principes non nucléaires à la participation du Japon comme observateur au TIAN. Il n’est pas certain toutefois que ce nouvel « en même temps » débouche sur des évolutions majeures de la posture du Japon sur la question nucléaire.
Comme le souhaitait le Premier ministre japonais, le désarmement nucléaire a fait l’objet d’un communiqué spécifique dans les documents finaux du sommet du G7 qualifié de « premier du genre consacré spécifiquement au désarmement nucléaire. »Vision des chefs d’État et de gouvernement du G7 de Hiroshima sur le désarmement nucléaire, Élysée, 19 mai 2023.. Dans ce document, le Hiroshima Action Plan proposé par Fumio Kishida en 2022 est cité comme « une contribution bienvenue ». Le communiqué final du G7 reprend ces termes dans le deuxième point du communiqué et évoque l’« attachement [du G7] à l’objectif ultime d’un monde sans armes nucléaires, avec une sécurité non diminuée pour tous, grâce à une approche réaliste, pragmatique et responsable ».
Le sommet de Hiroshima est donc un succès pour le Premier ministre. Mais, comme le souhaitaient les grandes puissances nucléaires – et un Japon qui demeure très contraint en matière de défense et plus encore de dissuasion –, c’est bien l’Ukraine qui a dominé les débats, avec la présence de Volodymir Zelinsky, et qui est positionnée en premier dans le communiqué final.