L’Union européenne entre autonomie stratégique et souveraineté technologique : impasses et opportunités

Introduction

La crise de la Covid-19 a produit une inflation de discours portant sur la nécessité pour l’Europe d’augmenter le contrôle de sa production, de maîtriser sa souveraineté mais aussi d’accroître son poids et son autonomie face aux grandes puissances mondiales (Chine et Etats-Unis) pour affirmer sa propre position. Nous pouvons constater une multiplication des déclarations de responsables de l’Union allant dans ce sens, depuis les membres de gouvernement des Etats membres jusqu’aux institutions européennesOn verra par exemple Anne de Guigné, « Le Maire et Breton veulent favoriser l’autonomie européenne », Le Figaro, 16 février 2021.. Fait remarquable, dès sa nomination en 2019, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait annoncé sa vision d’une Commission « géopolitique », exprimant ainsi le projet de renforcer le rôle et la légitimité de l’Union en tant qu’acteur mondialDerek Perrotte, Gabriel Gresillon, « Von der Leyen veut redonner à l’Europe les moyens de sa puissance », Les Echos, 10 septembre 2019..

La multiplication de ce type de références soulignant une volonté d’affirmation de l’Union européenne provient d’une prise de conscience influencée par plusieurs facteurs. La question de la souveraineté est une thématique qui revient de façon récurrente depuis plusieurs années, et l’Union se doit de formuler des réponses face à ceux qui, dans une acception souverainiste, veulent « récupérer le contrôle », ce qui rime souvent avec des velléités de renationalisation des politiques des Etats membres.

La présidence Trump a confirmé, s’il en était besoin, les nombreuses divergences entre l’Europe et les Etats-Unis sur une série de dossiers d’extrême importance, et a poussé à s’interroger sur la solidité du lien transatlantique. La question de la souveraineté et du contrôle des données dans le contexte des échanges transatlantiques produit une série de différends, en ce qui concerne aussi bien l’activité des entreprises que la protection des droits individuels. Ces divergences ne remettent pas en cause l’alliance militaire mais esquissent une rivalité à un autre niveau, extrêmement compétitif, celui de la maîtrise des technologies de l’information, qui requiert une adaptation radicale de la part des démocraties, car il dessine des triangulations complexes au sein desquelles s’insèrent les colosses technologiques à côté des EtatsJean-Dominique Merchet, interview avec Pascal Boniface, « Les Gafam représentent une menace pour la pérennité des Etats », L’Opinion, 15 février 2021..

En sus, la compétition technologique entre Etats-Unis et Chine place l’Europe face à des choix, ce qui pousse parfois à plaider pour une autonomie majeure, ce au-delà de la solidité du rapport transatlantiqueOn verra par exemple Jean-Pierre Chevènement, « L’Europe et le piège de la bipolarité », in La Chine dans le monde, actes du colloque du 17 novembre 2020, Fondation Res Publica, février 2021, pp. 51-53..

Enfin, et peut être surtout, la crise de la Covid a marqué une rupture dans la chaîne d’approvisionnement et a souligné la dépendance européenne à l’égard de la Chine pour certaines fournitures. Ce facteur, allié à l’image du « virus chinois », a d’abord désigné les relations commerciales avec la Chine comme un maillon faible qui devrait pousser à un rapatriement en Europe de certaines productionsOlivier Le Bussy, « Le Covid-19 oblige l’Europe à repenser son rapport au monde », La Libre Belgique, 30 juillet 2020.. Puis, plus récemment, nous avons vu apparaître une volonté d’autonomie européenne dans le domaine des vaccins, alors que la continuité des fournitures entre l’Union et des pays tiers fournisseurs comme le Royaume-Uni ou les Etats-Unis pouvait être remise en cause par des priorités nationales« L’Instrument d’urgence du marché unique devrait être un peu plus détaillé en avril, annonce Thierry Breton », Bulletin Quotidien Europe, 26 février 2021..

Le climat de crise conforte l’idée de la nécessité d’une indépendance européenne à la fois pour affirmer sa propre projection mondiale mais aussi pour renforcer les capacités de résilience, c’est-à-dire moins dépendre des autres puissances mondiales.

C’est dans ce contexte que nous avons vu émerger deux concepts qui sont en train de devenir politiquement performatifs au niveau européen : celui de la souveraineté technologique et celui de l’autonomie stratégique. Il convient d’analyser les tenants et aboutissants de ces propositions pour définir des perspectives qui permettent à l’Union de sortir de l’entropie liée à la multiplication des déclarations et aboutir à une vision prospective qui puisse agréger un consensus durable

 

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