Arsenal chinois et maîtrise des armements
Observatoire de la dissuasion n°120
juin 2024
Les raisons qui conduisent la Chine à augmenter massivement son arsenal nucléaire, sont étudiées depuis plusieurs années dans de nombreuses publications sans faire consensus. Dans un article remarqué de Foreign Affairs, Tong Zhao, chercheur à la Carnegie à Washington, propose sa propre interprétation, mettant en avant trois pointsTong Zhao, The Real Motives for China’s Nuclear Expansion, Foreign Affairs, 3 mai 2024.. Tout d’abord, en raison de la nature du régime et de l’influence particulière de Xi Jinping, les décisions en manière nucléaire ne sont pas nécessairement le fruit d’un débat stratégique poussé, mais peuvent être imposées par la hiérarchie sans fondement théorique solide. Deuxièmement, la trajectoire chinoise s’explique selon l’auteur de manière plus large. En effet, la Chine est convaincue que les États-Unis cherchent à s’opposer à son développement et à continuer à imposer de manière injuste un ordre inégalitaire dans lequel Washington est la superpuissance. À Beijing, Xi et son entourage semblent certains que seule une posture de force peut contraindre les États-Unis à accepter l’existence de la Chine comme égale ainsi que ses revendications légitimes. Dans ce contexte, le développement de l’arsenal nucléaire n’aurait pour seul objectif que de démontrer la puissance chinoise et de rechercher le statut de grande puissance, ainsi que la reconnaissance américaine d’une situation de vulnérabilité mutuelle entre les deux pays. Tong Zhao estime donc qu’il ne faut pas consacrer trop d’énergie à des réflexions techniques sur les systèmes développés, ou à l’inverse sur les systèmes américains pouvant être à l’origine de développements capacitaires en Chine : ceux-ci seraient essentiellement motivés par des considérations politiques.
Dans ce contexte, ses conclusions sont relativement simples : Beijing ne se montrera pas intéressée par des mesures de maîtrise des armements tant qu’elle n’estime pas que ses préoccupations de sécurité sont remplies, et pour cette raison, des discussions plus larges, par exemple des engagements mutuels à ne pas modifier par la force le statu quo en Asie-Pacifique, auraient plus de chance de réussir que des initiatives de maîtrise des armements plus traditionnelles. Enfin, les appels, désormais fréquents à Washington, pour augmenter l’arsenal à la hausse, ne pourraient que conforter la Chine dans l’idée que les Américains recherchent une supériorité nucléaire absolue et qu’il faut investir massivement dans ce domaine pour ne pas se laisser distancer.
Ulrich Kühn et Heather Williams, « Behavioral Arms Control and East Asia », Journal for Peace and Nuclear Disarmament, avril 2024
De leur côté, les chercheurs Ulrich Kühn et Heather WilliamsUlrich Kühn et Heather Williams, « Behavioral Arms Control and East Asia », Journal for Peace and Nuclear Disarmament, 3 avril 2024. s’accordent pour dire que les méthodes de maîtrise des armements traditionnelles n’ont aucune chance de succès dans le contexte actuel. Ceci est dû à l’émergence d’un système nucléaire multipolaire, au rôle de certaines nouvelles technologies et aux blocages politiques à Washington. Dans ce contexte, ils suggèrent de poursuivre une approche de maîtrise des armements comportementale (« behavioral arms control »), fondée sur trois piliers : son caractère informel, la notion de comportement responsable et l’inclusion de multiples dimensions. Cette approche s’est de fait imposée de manière récente avec en particulier des initiatives prises par l’OTAN ou ses États membres pour favoriser des comportements responsables, notamment concernant les armes nucléaires, mais également concernant l’utilisation de l’espace ou de l’intelligence artificielle. Pour intéresser la Chine à cette approche, les auteurs montrent l’importance de s’éloigner des schémas de la Guerre froide et de prendre en compte des intérêts chinois, comme l’intelligence artificielle. Il devrait également être possible de considérer des initiatives déjà validées à Beijing dans d’autres contextes, par exemple la pré-notification des missiles balistiques. Enfin, le statut et le prestige associés à des rencontres bilatérales de maîtrise des armements pourraient être un élément convainquant la Chine de s’impliquer dans ce domaine afin d’être reconnue comme une grande puissance responsable. Les deux pays pourraient envisager des démarches communes (engagements réciproques de ne pas attaquer les infrastructures de C2 ou de ne pas déployer de FOBS) ou des mesures unilatérales. Un dialogue stratégique pourrait permettre de clarifier certains éléments de doctrine et de considérer une déclaration commune sur la vulnérabilité mutuelle. Enfin, divers forums multilatéraux pourraient être utilisés pour réitérer le tabou nucléaire mais également pour tenter de persuader la Chine de participer à des initiatives plus techniques, par exemple sur la question de la vérification du désarmement nucléaire (IPNDV) ou de l’irréversibilité du désarmement nucléaire (IND).