Estimations américaines sur l’arsenal nucléaire chinois
Observatoire de la dissuasion n°127
Emmanuelle Maitre,
février 2025
Comme chaque année, le Pentagone a rendu public son rapport au Congrès sur l’évolution des forces armées chinoises« Military and Security Developments Involving the People’s Republic of China », 2024, Annual Report to Congress, Department of Defense, 18 décembre 2024. https://media.defense.gov/2024/Dec/18/2003615520/-1/-1/0/MILITARY-AND-S…. Sans surprise, la section consacrée aux forces nucléaires a été scrutée avec attention, en particulier par la presse, curieuse de voir si le Département de la Défense anticipe la poursuite de la trajectoire d’augmentation forte de l’arsenal nucléaire chinois.
Sur ce point, le nombre de 600 armes nucléaires opérationnelles est annoncé à la mi-2024. Les projections de l’année précédente sont réitérées, à savoir un arsenal de 1 000 armes d’ici à 2030. Une plus grande incertitude s’observe pour le futur, puisque l’annonce de 1 500 armes en 2035 a disparu, même si le rapport annonce une hausse des forces pressentie jusqu’à cette date au moins. Le Pentagone note que « la Chine n’a pas produit de larges quantités de plutonium pour ses programmes d’armes depuis le début des années 1990 » et qu’elle « aurait probablement besoin de recommencer à produire du plutonium dans la décennie en cours pour répondre aux besoins de son arsenal en expansion », en contradiction sur les annonces chinoises concernant la nature civile de ses installations liées à la production de matières fissiles.
Or, comme expliqué par les auteurs du rapport dans une intervention publique, il est également très intéressant d’observer les évolutions qualitatives de l’arsenal, qui modifient profondément les estimations américaines de la menace« A Discussion on the Defense Department’s 2024 China Military Power Report », CSIS, 18 décembre 2024. https://www.csis.org/analysis/discussion-defense-departments-2024-china…. Une attention est notamment portée sur la diversification des vecteurs et leur sophistication. Pour les auteurs, l’opérationnalisation de la Triade, et la variété des armes désormais déployées, permettent de multiplier les options pour Beijing, mais également de disposer de divers « barreaux » dans l’escalade nucléaire, ce qui leur apparaît comme nuisant à la stabilité stratégique. Les États-Unis rappellent à cette occasion leur inquiétude devant ce qui est perçu comme une incompatibilité entre les développements capacitaires observés et la doctrine professée.
De manière plus spécifique, le rapport évoque les trois nouveaux champs de 320 ICBM récemment détectésEmmanuelle Maitre, « Découverte de silos d’ICBM en Chine », Bulletin n° 89, Observatoire de la dissuasion, FRS, août 2021. https://www.frstrategie.org/programmes/observatoire-de-la-dissuasion/de…, a priori achevés en 2022, qui sont pour certains remplis avec des DF31‑A et « continueront probablement à être remplis » dans le futur, avec une nouvelle version de l’ICBM DF‑31. Il mentionne également la construction d’une cinquantaine de silos supplémentaires pour l’ICBM à propulsion liquide DF‑5, avec une nouvelle version DF‑5C en cours de déploiement permettant de doubler le volume de ce système.
Alors que l’ICBM DF‑41 n’est quant à lui pas réputé être déployé en silo, le rapport note qu’une version ensilée ou emportée sur rail pourrait être envisagée par les autorités chinoisesHans Kristensen, « The 2024 DOD China Military Power Report », FAS, 18 décembre 2024. https://fas.org/publication/the-2024-dod-china-military-power-report/. Cet effort autour des silos fait craindre au Pentagone l’établissement par la PLA d’une posture de contre-attaque précoce (« early-warning counterstrike »), considérée par les Etats-Unis comme la traduction chinoise du terme lancement sur alerte (launch on warning). Cette posture est basée sur une capacité de riposte rapide et de survie garantie. Le rapport souligne que les évolutions de la Chine dans le domaine nucléaire vont lui permettre de « cibler davantage de villes, sites militaires et sites de commandements américains que par le passé », et de disposer de la « capacité d’infliger un niveau plus important de dommages massifs, mais aussi de mener des frappes plus précises avec des armes à plus faible puissance ». Sur ce point, le Pentagone soupçonne Beijing de vouloir utiliser ces armes « pour des options de riposte proportionnelle que les armes de forte puissance ne peuvent accomplir », mais note que « les stratégistes chinois n’ont pas défini de puissance spécifique pour les armes nucléaires ». Comme l’année passée, il continue à s’émouvoir de la colocation entre forces nucléaires et conventionnelles et en particulier leurs infrastructures de C2 qui pourrait conduire à une escalade involontaire. Le risque est accru du fait de l’ambition chinoise de disposer d’une posture de lancement sur alerte « d’ici la fin de la décennie ».
Concernant les autres segments de l’arsenal, il n’y a pas d’évolution sur les estimations concernant les IRBM, annoncés à 500, pour l’essentiel composés de DF‑26 qui vient en remplacement du DF‑21. Le DF‑17 (vecteur du planteur hypersonique) est noté comme une arme conventionnelle. Les informations fournies pour la force navale (SNLE) et aérienne (bombardiers) sont similaires à l’année précédente.
Estimations américaines sur l’arsenal nucléaire chinois
Bulletin n°127, janvier 2025