Politique nucléaire de l’OTAN : quel rôle pour la Pologne ?
Observatoire de la dissuasion n°127
février 2025
La Nonproliferation Review a consacré en décembre 2024 un dossier aux diverses retombées de l’agression russe en Ukraine dans le domaine du nucléaire (« Nuclear Zeitenwende »). Monika Sus et Łukasz Kulesa se sont penchés sur les réactions observées en PologneMonika Sus et Łukasz Kulesa, « Breaking the silence: explaining the dynamics behind Poland’s desire to join NATO nuclear sharing in light of Russian aggression against Ukraine », The Nonproliferation Review, vol. 30, n° 4-6, 24 décembre 2024. https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/10736700.2024.2432807#abst…. Le pays se caractérise depuis son entrée au sein de l’OTAN par une forte conviction de l’importance des armes nucléaires pour sa sécurité et un soutien à la politique nucléaire de l’OTAN. De 1999 à 2022, ses dirigeants n’ont cependant pas pris publiquement parti pour une modification des arrangements nucléaires de l’OTAN, leur priorité étant avant tout de lutter contre les appels au retrait des armes nucléaires américaines stationnées sur le territoire européen, ou de s’opposer à des mesures de maîtrise des armements jugées trop ambitieuses. Varsovie s’est contentée de son rôle dans les opérations SNOWCAT, qui soutiennent la mission nucléaire, consciente que pour des raisons politiques et stratégiques, une participation plus directe serait rejetée par ses alliés. Suite à l’invasion de l’Ukraine, plusieurs facteurs ont conduit à un changement de politique, matérialisé par les propos du Premier ministre Mateusz Morawiecki, qui a affirmé en décembre 2023 à Bruxelles que « la Pologne demande à l’ensemble de l’OTAN d’être intégrée aux dispositifs de partage nucléaire », des propos réitérés à plusieurs reprises en particulier par le président Andrzej Duda.
Les auteurs utilisent le cadre théorique formé par John Kingdon intitulé Multiple Streams Approach pour décrypter les raisons ayant poussé à des prises de position plus marquées à ce sujet. Cette théorie estime qu’un changement de politique est provoqué par un problème externe, des facteurs politiques (politics), et l’émergence de politiques (policies). Dans le contexte présent, les auteurs jugent que le problème extérieur a été constitué en particulier par le déploiement d’armes nucléaires au Bélarus, la crainte d’une frappe nucléaire russe en Ukraine, la peur d’une utilisation dans un pays de l’OTAN pour escalader la crise, et l’analyse selon laquelle la Russie renforcerait probablement sa doctrine nucléaire suite à l’effritement de ses capacités conventionnelles. Au niveau interne, ils notent l’évolution de la société vers un plus grand conservatisme (sentiment d’insécurité au niveau international, sentiment antirusse), la conviction partagée des élites de la nécessité de renforcer la posture nucléaire de l’OTAN et de l’importance de la Pologne pour l’Alliance, ce qui justifie d’être traité comme un allié de premier rang. Cet argument est notamment mis en valeur par le parti au pouvoir à l’époque Loi et Justice.
Pour ce qui est des idées, les propositions en faveur d’une plus grande implication polonaise ne sont pas nouvelles et incluent en particulier l’idée de déployer des armes nucléaires américaines sur le territoire polonais, l’idée de certifier les chasseurs polonais pour l’emport d’armes nucléaires, ou de manière plus globale le renforcement de la politique nucléaire de l’OTAN.
Ces propositions polonaises n’ont pas reçu d’écho favorable au sein de l’Alliance, les États-Unis ayant en particulier indiqué à plusieurs reprises qu’aucune évolution en ce sens n’était d’actualité pour l’instant. En décembre 2023, l’élection de Donald Tusk a conduit à une approche beaucoup plus prudente, le nouveau Premier ministre estimant en particulier que le président Duda ne devrait plus s’exprimer en ce sens. Néanmoins, les auteurs jugent que ces préférences devraient se poursuivre en Pologne, du fait de la conviction partagée au niveau politique et des experts que les arrangements actuels sont insuffisants pour garantir la sécurité du flanc Est de l’Alliance. La question semble donc être de savoir si le capital politique du pays doit être consommé sur cette question ou sur d’autres priorités polonaises (adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, finalisation de la planification régionale, augmentation des déploiements conventionnels dans la région).
Cet article présente l’intérêt d’étudier la formation d’une politique étrangère et les circonstances qui conduisent à un changement en la matière. Il contribue au débat sur la crédibilité de la politique nucléaire de l’OTAN et met en lumière l’importance du flanc Est dans les dynamiques de l’Alliance sur la question nucléaire.
Politique nucléaire de l’OTAN : quel rôle pour la Pologne ?
Bulletin n°127, janvier 2025