L’Initiative de Stockholm : nouveau forum prééminent de réflexion en matière de dé-sarmement ?
Observatoire de la dissuasion n°93
Emmanuelle Maitre,
janvier 2022
L’initiative de Stockholm pour le désarmement nucléaire a été lancée en juin 2019 par les ministres de 16 États non dotés (EDAN)Allemagne, Argentine, Canada, Corée du Sud, Finlande, Éthiopie, Indonésie, Japon, Jordanie, Kazakhstan, Norvège, Nouvelle Zélande, Pays-Bas, Espagne, Suède et Suisse ont participé aux premières rencontres, l’Islande a rejoint l’initiative à partir de 2021., dans l’optique de promouvoir un programme « ambitieux, mais réaliste » pour le désarmement nucléaire. Son objectif a été de réaffirmer le rôle du TNP comme « pierre angulaire du régime global de non-prolifération et de désarmement », en identifiant des mesures concrètes permettant la mise en œuvre de l’article VI, concernant l’engagement de désarmementMinisterial declaration, The Stockholm Ministerial Meeting on Nuclear Disarmament and the Non-Proliferation Treaty, Stockholm, 11 juin 2019..
Ce nouveau forum de discussion a permis en février 2020, suite à une rencontre ministérielle à Berlin, d’adopter une déclaration et une liste d’actions intitulées « Stepping Stones ». Parmi les grands principes mis en avant par le groupe à cette occasion, et dans la continuité des 13 étapes acceptées lors de la conférence d’examen de 2000 et du plan d’action de celle de 2010, figurent :
- La nécessité de la transparence concernant les arsenaux (notamment dans le cadre des rapports remis lors des conférences d’examen du TNP) et de la retenue au plus haut niveau politique, et l’importance de discussions sur les doctrines entre États dotés ;
- La réduction du rôle des armes nucléaires dans les politiques de défense et de sécurité ;
- L’extension du Traité New Start et le lancement de négociations pour l’étendre ;
- Le renforcement des garanties négatives de sécurité et le soutien aux zones exemptes d’armes nucléaires, y compris la création d’une telle zone au Moyen-Orient ;
- L’amélioration des mécanismes de communication de crise et la prise en compte des risques liés à l’enchevêtrement des capacités conventionnelles et nucléaires ;
- L’entrée en vigueur du TICE et la préservation des moratoires sur les essais ;
- Le lancement des négociations autour du FMCT et l’adoption ou la préservation de moratoires sur la production de matière fissile pour les armes ;
- Le développement de capacités de vérification multilatérale du désarmement nucléaireAnnexe, Stepping Stones for Advancing Nuclear Disarmament, Berlin, 25 février 2020..
Par ailleurs, le groupe a salué le rôle positif du processus P5 et l’organisation d’une conférence sur le projet de zone exempte d’armes nucléaires au Moyen-Orient. Il a également rappelé sa préoccupation vis-à-vis des situations de prolifération, en Corée du Nord et en Iran. Enfin, il a indiqué sa conviction de la nécessité d’investir dans l’éducation au désarmement et à la non-prolifération et de prendre en compte les préoccupations de genre dans les réflexions sur le sujetThe NPT at 50, Advancing Nuclear Disarmament, Securing Our Future, Berlin, 25 février 2020..
En 2021, trois rencontres ont été organisées, permettant de démontrer la vigueur du processus, en janvier à Amman3rd Ministerial Meeting of the Stockholm Initiative for Nuclear Disarmament and the Non- Proliferation Treaty, 6 January 2021, in Amman., en juillet à MadridPress release by co-hosts of 4th Ministerial Meeting of Stockholm Initiative for Nuclear Disarmament, Official Statement, n°060, 5 juilllet 2021. et en décembre à Stockhlom5th Ministerial Meeting of the Stockholm Initiative for Nuclear Disarmament, Press Statement, Stockholm, 14 décembre 2021.. À l’issue de ces réunions, la Suisse a produit un document de travail qui sera présenté au nom du groupe à la 10e conférence d’examenA Nuclear Risk Reduction Package, Working paper by the Stockholm Initiative, juillet 2021.. Ce document suggère l’adoption de différentes mesures portant, tout d’abord, sur la politique déclaratoire, deuxièmement, sur les engagements des États dotés vis-à-vis de la communauté du TNP, et en particulier concernant les mesures précédemment agrées, et enfin, sur l’établissement d’un processus permettant de poursuivre le travail dans le cadre du TNP. Parmi les points plus novateurs de ce papier, figurent la prise en compte de l’effet des nouvelles technologies sur les risques nucléaires, la proposition de convoquer une conférence au plus haut niveau pour évoquer la question des risques stratégiques, sur le modèle des sommets sur la sécurité nucléaire, et l’établissement d’un groupe d’experts gouvernementaux ou d’un groupe de travail à composition ouverte pour traiter de ces questions durant le prochain cycle d’examen.
Cette initiative mérite d’être prise en compte à plus d’un titre. Tout d’abord, elle connaît un dynamisme notable, notamment lié à l’intérêt politique de ses principaux sponsors (Suède, Allemagne) pour se montrer actif en matière de désarmement. Deuxièmement, elle est parvenue à créer une forme de consensus autour de la question de « réduction des risques », un concept qui était auparavant perçu avec méfiance par les États dotés mais aussi par les principaux États « désarmeurs », qui craignaient que ce sujet ne vienne faire diversion par rapport à l’objectif principal de désarmement. De fait, cette critique continue d’exister, notamment auprès des ONG, qui ne souhaitent pas l’adoption de mesures qui puissent d’une certaine manière légitimer les armes nucléaires et donner l’impression qu’elles peuvent être déployées de manière moins « risquée ». Mais l’Initiative de Stockholm a réussi à réconcilier un certain nombre d’États avec la nécessité de ce type d’approche dans le très court terme, grâce à ses efforts pour rappeler qu’il ne s’agit pas d’un substitut au désarmement qui reste la priorité absolue. Ainsi, en plus des Etats participants, 20 Etats supplémentaires se sont alignés avec les documents proposés par l’Initiative pour la 10e conférence d’examen.
Le développement de cette initiative montre que les conséquences humanitaires des armes nucléaires et les risques de détonations accidentelles continuent d’être des préoccupations sérieuses de nombreux ENDAN, tout comme le respect des engagements pris lors des précédentes Conférences d’examen par le P5. Mais il illustre également une volonté de réalisme et de progrès concrets dans un contexte où beaucoup d’États se résignent à l’impossibilité de voir négocier de nouvelles réductions majeures des arsenaux.