Processus P5 : quel bilan au titre du cycle d’examen du TNP écoulé ?
Observatoire de la dissuasion n°93
Emmanuelle Maitre,
janvier 2022
Le 2 et le 3 décembre 2021, le P5 s’est réuni à Paris pour sa conférence au niveau des directeurs, permettant de parachever le travail réalisé dans ce format dans l’optique de la 10e conférence d’examen du TNP et de conclure la présidence française du groupe. À cette occasion, le P5 a publié un communiqué pour la première fois depuis 2015 qui met en avant son travail sur les différents sujets à l’ordre du jour (discussion sur les doctrines, réduction des risques stratégiques, glossaire, FMCT, Traité de Bangkok, TICE, usages pacifiques). Il indique son ambition de poursuivre son travail et d’approfondir en particulier la question de la réduction des risques stratégiques lors du cycle d’examen qui s’ouvrira en janvier 2021P5 Conference Paris, 2-3 December, 2021 Joint communiqué..
Par ailleurs, la réunion a permis de finaliser des documents de travail qui devaient être publiés pour la conférence d’examen (prévue avant son nouveau report du 4 au 28 janvier prochain), sur différents sujets. Ainsi, un document sur la réduction des risques stratégiques a été publié le 21 décembre 2021« Strategic Risk Reduction », Working paper submitted by China, France, the Russian Federation, the United Kingdom and the United States of America, NPT/CONF.2020/WP.34, 21 décembre 2021.. Le P5 a également publié une déclaration sur les usages pacifiques des technologies nucléaires« Peaceful Uses of nuclear energy, science and technology », Declaration submitted by China, France, the Russian Federation, the United Kingdom and the United States of America, NPT/CONF.2020/WP.37, 21 décembre 2021. et a travaillé un document sur le glossaire, dont la seconde édition devrait être présentée. Par ailleurs, des side-events organisés par le P5 avaient été confirmés pour la conférence d’examen en janvier 2022, concernant les doctrines en particulierIntervention de Philippe Bertoux, Conférence annuelle du consortium de l’UE sur la non-prolifération et le désarmement, 6 décembre 2021., et seront vraisemblablement décalés à l’été.
La dernière présidence britannique du P5, en 2019-2020, avait été remarquable en raison du niveau d’engagement entre les responsables des cinq pays et les experts non-officiels. En particulier, ELN et King’s College London avaient rassemblé des experts de think tanks et du monde académique pour produire des recommandations pour le groupe et des publications détaillées sur le processusProjet présenté sur la page suivante : The P5 Process. Cet investissement a été reçu avec intérêt et tant les officiels que les non-officiels ont apprécié l’opportunité de dialoguer. Cette ouverture a notamment contribué à répondre à l’une des critiques récurrentes sur le processus, à savoir qu’il s’agit d'une boîte fermée sans responsabilité ni transparence vis-à-vis du reste de la communauté internationale.
Lorsqu’elles ont pris la présidence en 2020, les autorités françaises ont estimé qu’il était important de poursuivre cet effort de sensibilisation. D’une part, il s’agissait de répondre aux attentes de la société civile avec une exigence implicite née de la conférence de Londres d’avoir une forme d’interaction entre le P5 et la société civile. De l’autre, la présidence française a souhaité pérenniser le dialogue entre le P5 et le reste de la communauté du TNP : par exemple lorsque la délégation française à Genève a débriefé le NPDINon-proliferation and Disarmament Initiative, groupe de 14 États encourageant la transparence sur les questions de désarmement. et l'Initiative de Stockholm sur la réunion du P5 de juillet 2021. Dans cet esprit, la France a lancé un projet en parallèle du programme de travail officiel, et a chargé la FRS de l’accompagner dans sa mise en œuvre. Relativement modeste, notamment du fait de la situation sanitaire interdisant les rencontres physiques, ce projet a eu pour objectif de faciliter le dialogue entre experts et chercheurs, d’organiser des réunions et séminaires et de publier des articles sur les thèmes liés au P5, et enfin d’organiser un événement Track 1.5 en marge de la conférence de Paris en décembre 2021. Concrètement, des webinaires ont été organisés sur le TNP et les usages pacifiques, sur le processus P5 en général et sur la réduction des risques stratégiques. Des articles ont été publiés sur le 50e anniversaire du TNP, le FMCT, la réduction des risques stratégiques ou la manière dont le P5 peut aborder les armes stratégiques non nucléaires. Lors de la conférence des directeurs du P5, une session a été réservée aux échanges avec la société civile permettant de soumettre des recommandations et interrogations à l’égard des représentants officiels des États dotésL’ensemble de ses activités est présentée sur la page : Le TNP et le processus P5.
Dans un contexte marqué par la pandémie, d’une part, le changement d’administration à Washington, d’autre part, la Présidence actuelle s’est attachée à maintenir le dialogue sur toutes les composantes du dialogue du P5, à savoir, la question du glossaire, les doctrines, le FMCT, les usages pacifiques... Au sein du dossier « doctrine », la question de la réduction des risques stratégiques a été placée en tête de l’agenda de la présidence française, en coordination avec le Royaume-Uni. Il est difficile de faire le bilan de cette Présidence, dont le lancement a été largement compliqué par le contexte Covid en raison de l’impossibilité de tenir les réunions productives en format virtuel. En effet, la plupart des discussions importantes se déroulent logiquement à huis clos. Cependant, on peut noter quelques éléments. Premièrement, le processus a pu survivre à ces temps difficiles, et par conséquent, son institutionnalisation semble être toujours un objectif partagé. Alors qu'en 2017 et 2018, il y avait eu une interruption du processus, il est désormais certain qu’il se poursuivra après la conférence d’examen, quand elle pourra se dérouler, sous la houlette des États-Unis.
Deuxièmement, bien que certaines discussions semblent très difficiles et que certains sujets deviennent de plus en plus difficiles à aborder, ils sont maintenus à l’ordre du jour officiel et le format permet de tenir un dialogue qui ne pourrait pas avoir lieu à ce niveau autrement. Troisièmement, l'ouverture envers la société civile et les ENDAN reste appréciée. Il semble que dans une certaine mesure, la critique initiale selon laquelle le P5 est un cartel fermé s’estompe, et bien qu’il y ait une frustration de la modestie des objectifs du groupe et du rythme des progrès, il y a aussi une compréhension de la part d’un certain nombre de chercheurs ou de représentants des ENDAN que le processus a son utilité et qu'une discussion confidentielle entre les cinq EDAN est nécessaire. Malgré les tensions croissantes entre les membres du P5, et la difficulté de s’entendre sur des sujets liés à la non-prolifération ou à la maîtrise des armements ces dernières années, le processus du P5 peut donc être considéré comme un forum approprié de discussion y compris dans l’optique du prochain cycle d’examen.