Retour sur l’essai d’un planeur hypersonique par la Corée du Nord
Observatoire de la dissuasion n°93
Emmanuelle Maitre,
janvier 2022
Le 29 septembre 2021, la Corée du Nord a annoncé avoir lancé la veille le missile hypersonique Hwasong‑8. Cette annonce a suscité l’intérêt dans la mesure où elle représente un progrès technique notable pour Pyongyang mais aussi pour ses implications politiques.
Selon les médias nord-coréens, et en particulier selon la photographie diffusée à l’occasion du tir et lors d’une visite de Kim Jung Un d’une exposition de matériel militaire, le missile en question est composé d’un propulseur de portée intermédiaire à propulsion liquide, qui ressemble à un Hwasong‑12, mais de de taille légèrement réduiteVann H. Van Diepen, « Six Takeaways From North Korea’s “Hypersonic Missile” Announcement », 38th North, 13 octobre 2021.. Le propulseur serait couplé à un véhicule qui s’apparente à un planeur hypersonique et en particulier au DF‑17 chinoisThomas Newdick, « This Is Our Best Look Yet at North Korea's Hypersonic Missile », The War Zone, The Drive, 12 octobre 2021.. Un véhicule mobile aurait été utilisé (TEL) pour le tir depuis Mupyong-ni, lieu où l’ICBM Hwasong‑14 avait été tiré en 2017. Concernant l’essai en lui-même, les autorités nord-coréennes ont estimé qu’il avait « rempli les objectifs fixés », mais n’ont pas indiqué s’il avait été réussi et n’ont pas donné de précisions sur ses caractéristiques ou la distance parcourue. Les autorités sud-coréennes ont annoncé une portée inférieure à 200 km pour une altitude comprise entre 30 et 60 km, selon les sources« Observations on the 28 September 2021 Hypersonic Missile Test of the Democratic People’s Republic of Korea », One Earth Future, 29 septembre 2021.. Mais étant donnée la distance très courte, on ignore s’il s’agit simplement du vol du propulseur, dans l’optique de tester une première injection de planeur, ou si une phase planée a réellement eu lieu.
La Corée du Nord a annoncé avoir fait usage d’un système d’encapsulage (« ampoulisation », selon le terme employé). Cette information a été interprétée diversement par les observateurs. Ainsi, le terme pourrait faire référence à la pratique soviétique de pré-charger des SLBM ou ICBM à propergols liquides et de sceller les réservoirs par soudure avant le stockage des missiles dans le tube de missile des SNLE ou sur TELMichael Duitsman, Twitter, 30 septembre 2021.. L’objectif est ici d’éviter toute fuite des ergols vers les conduites ou les moteurs et tout effet de corrosion sur la structure du missile en isolant totalement les réservoirs. Cette technique est particulièrement intéressante pour le déploiement des SLBM. Dans le cas nord-coréen, beaucoup d’analyses ont noté qu’il pourrait s’agir d’une innovation permettant de charger les missiles en propergol dès l’usine et donc d’améliorer leur capacité de survie une fois déployésJeffrey Lewis, Aaron Stein et Scott LaFoy, « Glide or Die », Podcast, Arms Control Wonk Podcast, 7 octobre 2021..
Néanmoins, certains jugent que la technologie de l’« encapsulage » est ici moins déterminante que la capacité à employer des propergols liquides stockablesVann H. Van Diepen, op. cit.. Ces propergols plus élaborés peuvent restés chargés sur des périodes longues, contrairement aux missiles de la famille des Scuds. Michael Elleman avait suggéré en 2017 que la Corée du Nord en ait fait l’acquisition pour le développement du Musudan, et ensuite pour les systèmes Hwasong‑12, Hwasong‑14 et Hwasong‑15Michael Elleman, « The secret to North Korea’s ICBM success », IISS, 14 août 2014..
D’autres analyses jugent que l’« encapsulage » peut également faire référence à la capacité de transporter les missiles dans des capsules scellées (canister) pour limiter leur exposition aux conditions extérieures et ainsi maintenir les propergols dans des environnements (température et pression) contrôlés. L’« encapsulage » pourrait donc favoriser le transport de missiles chargés, même si des doutes ont été exprimés sur la stabilité et la résistance d’un système ainsi transportéPavel Podvig, Twitter, 29 septembre 2021.. Il est intéressant de souligner que Pyongyang a annoncé le développement de cette technologie sur d’autres systèmes, ce qui pourrait témoigner du choix nord-coréen de continuer à s’appuyer sur un grand nombre de missiles à propulsion liquideVann H. Van Diepen, op. cit.. Mais cela ne remet pas forcément en cause l’idée selon laquelle les systèmes à propulsion solide devraient rester la priorité du régime dans les années qui viennentJeffrey Lewis, Aaron Stein et Scott LaFoy, op. cit..
Au niveau politique, ce tir semble faire écho à l’annonce faite par Kim Jong Un en janvier 2021 lors de son discours au huitième Congrès du parti de son intention de déployer prochainement des systèmes hypervélocesJulia Masterson, « North Korea Claims to Test Hypersonic Missile », Arms Control Today, novembre 2021.. La Corée du Nord a décrit le système comme « d’importance stratégique », ce qui pourrait sous-entendre une vocation nucléaire du missileVann H. Van Diepen, op. cit.. Tout comme la diversification des lanceurs, l’acquisition d’un nouveau mode de pénétration (planeur manœuvrant à vitesse hypersonique) pourrait traduire pour la Corée du Nord un effort permettant d’améliorer la capacité de survie et de pénétration de ses armes nucléaires. Cela serait donc également une manière de contourner les développements des États-Unis et de leurs alliés en Asie dans le domaine des défenses antimissilesJeffrey Lewis, Aaron Stein et Scott LaFoy, « Glide or Die », Podcast, Arms Control Wonk Podcast, 7 octobre 2021.. Pour autant, certains doutent que Pyongyang se tournent massivement vers ce type de technologies, en raison du coût unitaire élevé des planeurs hypersoniques et de la possibilité de supplanter les défenses par d’autres biais, comme des frappes de saturation, des aides à la pénétration ou encore des têtes manœuvrantes couplées à des systèmes balistiquesVann H. Van Diepen, op. cit..
De plus, rien n’indique que le système soit proche d’une entrée en service opérationnel, le Chef d’État-major sud-coréen ayant indiqué que « le système semble à un stade précoce de développement »« (LEAD) N. Korea's 'hypersonic missile' appears to be at early stage of development: JCS », Yonhap, 29 septembre 2021.. Néanmoins, cela vient s’ajouter au sentiment de course aux technologies hypersoniques et tend à alimenter un climat de peur d’un retard technologique aux États-Unis, déjà largement perçu lors de la publication d’informations sur des tirs de planeurs hypersoniques chinois cet été. Cela confirme également la volonté nord-coréenne de s’imposer et d’être considérée comme une puissance technologique à part entière dans le domaine des armes stratégiquesJeffrey Lewis, Aaron Stein et Scott LaFoy, op. cit..