Proportionate Deterrence: A Model Nuclear Posture Review
Observatoire de la dissuasion n°86
mai 2021
Tout en s’efforçant de mettre en contexte l’exercice particulier que représente une Nuclear Posture Review, George Perkovich et Pranay Vaddi s’intéressent dans ce long document publié par la Carnegie à la forme que pourrait prendre la NPR de l’administration BidenGeorge Perkovich et Pranay Vaddi, Proportionate Deterrence: A Model Nuclear Posture Review, Carnegie Endowment for International Peace, janvier 2021.. Pour eux, les principaux objectifs de la politique nucléaire américaine doivent être de :
- Dissuader des menaces existentielles nucléaires et non-nucléaires contre les États-Unis, leurs partenaires et leurs alliés ;
- Rassurer alliés et partenaires sur l’engagement américain en matière de défense mutuelle, de non-prolifération et de désarmement ;
- Réduire les potentiels facteurs d’escalade nucléaire ;
- Limiter le niveau de destruction provoqué par l’usage d’armes nucléaires ;
- Préserver la stabilité internationale, empêcher la prolifération et œuvrer pour la réduction des arsenaux nucléaires.
Ces objectifs sont soutenus par une analyse de l’environnement stratégique, dans laquelle les auteurs présentent leur interprétation des menaces russe, chinoise et nord-coréenne et leurs propositions pour renforcer le dialogue dissuasif tout en limitant le risque de spirale négative. Cet objectif de maîtrise de l’escalade reste leur principal souci mais requiert pour les auteurs une approche globale et non-cantonnée à la politique nucléaire.
Sur ce sujet, les auteurs s’attardent sur la politique déclaratoire tout en reconnaissant qu’elle est moins importante aux yeux des adversaires que les capacités elles-mêmes. Ainsi, ils jugent qu’adopter une posture de non-emploi en premier sans modifier la structure des forces serait de peu d’utilité. Bien que sensibles aux arguments utilisés par les promoteurs d’un tel changement doctrinal, ils notent les inconvénients notables et les bénéfices limités d’une telle modification. Ils recommandent en conséquence l’adoption d’une politique de « menace existentielle », qui prévoirait le recours aux armes nucléaires « uniquement lorsqu’aucune alternative viable existe pour mettre fin à une attaque existentielle contre les États-Unis, leurs alliés ou partenaires ». Cette alternative leur semble plus réaliste (évacuant notamment des scénarios d’usage peu crédibles, comme en réponse à une cyberattaque) et mieux prendre en compte les impératifs du droit des conflits armés (pour des raisons humanitaires, juridiques, environnementales et de crédibilité). Par ailleurs, en termes de conditions et stratégies d’emploi, les auteurs insistent sur la nécessité d’adopter des plans opérationnels qui minimisent les dommages à tous les niveaux, notamment en particulier les conséquences climatiques liés à des détonations nucléaires. Ils conseillent également de renoncer à toute posture de lancement sur alerte après avoir étudié les risques liés à une telle posture, tout en notant l’importance capitale de renforcer la capacité de survie du système de commandement et de contrôle. En revanche, ils ne se prononcent pas sur la question de l’autorité du Président à déclencher seul une frappe nucléaire, notant néanmoins l’utilité de lancer une commission d’experts pour examiner cette question.
En termes de capacités, les deux chercheurs soutiennent la modernisation des composantes aérienne (B‑21 et LRSO) et maritime (SSBN Columbia, extension de la durée de vie du Trident‑2) américaines, mais suggèrent de procéder par extension de la durée de vie du Minuteman III dans l’espoir de pouvoir négocier des réductions sur ce segment avec la Russie. Ils appellent à la suppression du programme de missiles de croisière nucléaire naval, tout en maintenant en revanche les options d’armes de faible énergie sur les Trident déjà déployés. Ils estiment que le déploiement de B61 en Europe devrait être préservé jusqu’à ce que des mesures réciproques de maîtrise des armements soient négociées avec Moscou. Comme de nombreux travaux comparables, les deux experts insistent sur la nécessité de moderniser les infrastructures de C3.
En matière de maîtrise des armements, ils jugent que la défense antimissile devrait entrer dans le cadre des négociations et faire partie de contreparties possibles proposées à la Russie ou à la Chine en échange de limitations sur leurs capacités offensives respectives. À ce titre, un chapitre est consacré aux questions de maîtrise des armements, avec en particulier un appel à poursuivre les efforts bilatéraux avec Moscou, notamment pour s’accorder sur un traité successeur à New Start (réduisant les plafonds et intégrant les nouvelles technologies de nature stratégiques) et négocier des mesures de confiance additionnelles (en particulier sur les armes non-stratégiques et les capacités d’interception américaines à terre).
Concernant la Chine, George Perkovich et Pranay Vaddi suggèrent de reprendre un dialogue stratégique approfondi, en envisageant des concessions du côté américain, en particulier la reconnaissance d’une forme de vulnérabilité mutuelle, mais aussi des efforts pour pousser la Chine à admettre le caractère inacceptable de tout recours à la force pour modifier le statu quo politique et territorial dans la région Asie-Pacifique. Ils suggèrent également d’explorer la piste d’un accord trilatéral (États-Unis, Russie, Chine) définissant une limite agrégée pour l’ensemble des vecteurs (y compris bombardiers) ayant un rayon d’action de plus de 500 km, quelle que soit la tête. Cette proposition vise notamment à éviter le déclenchement d’une course aux armements de portée intermédiaire suite à la disparition du Traité FNI. Comme pour la Russie, ils invitent Washington à conduire une réflexion bilatérale avec Pékin sur les systèmes de défense déployés en Asie. Ils suggèrent également de mettre la question des menaces cyber vis-à-vis des systèmes de C3 sur la table d’un dialogue stratégique renouvelé.
Enfin, en matière de désarmement, ce rapport estime que les États-Unis devraient travailler à préciser leur vision d’un monde sans arme nucléaire, poursuivre et approfondir les travaux sur la vérification et s’efforcer de mieux comprendre les effets climatiques possibles d’une guerre nucléaire.