TNP : premier comité préparatoire sous tension à Vienne

Du 31 juillet au 11 août 2023 s’est tenu le premier comité préparatoire (Prepcom) à la conférence d’examen du TNP prévue pour 2026. Au vu du contexte, les délégués qui se sont retrouvés à Vienne avaient peu d’espoir d’assister à une réunion constructive. L’année dernière, malgré des efforts diplomatiques conséquents, la conférence d’examen n’était pas parvenue à adopter un document final à l’unanimité en raison du blocage russe à toute mention de la centrale de Zaporijjia. Le comité préparatoire de l’été 2023 a été également très marqué par le contexte géopolitique. Sur le fond, plusieurs thématiques sont ressorties de cette édition.

De manière attendue, la question du partage nucléaire a été au centre de nombreux débats du Prepcom. L’Afrique du Sud a intitulé les mécanismes en vigueur au sein de l’OTAN de « nouvelle prolifération ». Plusieurs délégations ont critiqué le partage nucléaire de l’OTAN et dénoncé les projets de déploiement d’armes nucléaires au Bélarus, de manière implicite (Autriche et Kazakhstan, par exemple), ou explicite (Nouvelle-Zélande). Mais malgré les tentatives de certains alliés de différencier le système otanien du cas bélarusse (Norvège), et les critiques vives d’Etats comme la Pologne vis-à-vis de la violation par Minsk du mémorandum de Budapest, la plupart des Etats ont continué de cibler leurs critiques sur l’OTAN.

Comme l’année dernière, les questions liées à l’usage pacifique du nucléaire ont été beaucoup plus controversées que lors des cycles d’examen précédents, avec des débats virulents concernant l’occupation russe de la centrale de Zaporijjia et des échanges tendus (notamment entre la Chine et le Japon) sur du rejet d’eaux décontaminées à Fukushima. Des désaccords forts se sont également exprimés au sujet d’AUKUS, avec l’enracinement de deux récits illustrés par l’organisation de deux side-events. D’un côté, la Chine, la Russie, de nombreux Etats non-dotés d’armes nucléaires et ONG considèrent l’arrangement entre les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie nuisible pour le principe de non-prolifération. De l’autre, les Etats concernés par AUKUS, leurs alliés et à sa manière le Brésil défendent la possibilité d’utiliser la propulsion nucléaire pour des sous-marins sans nuire aux règles de proliférationVoir « AUKUS nuclear submarine deal poses risk to global security: think tank report », Ministère de la Défense, RPPC, 3 août 2023. Le rapport en question est le suivant : « The AUKUS submarine deal: risks for the nuclear nonproliferation regime and global security », CENESS et CACDA, août 2023. Voir également: Ambassador - Arms Control & Counter-Proliferation, Twitter, 7 août 2023..

La réduction des risques stratégiques, annoncée dès l’année dernière comme un sujet d’importance pour le cycle 2022-2026, a en été effet mentionnée à plusieurs reprises, avec encore une fois l’organisation de side-events, par exemple par l’Irlande, montrant à la fois la volonté de certains Etats de travailler sur ce concept mais également de s’assurer qu’il reflète leurs priorités. Néanmoins, si certains Etats non-dotés soutiennent officiellement les efforts de réduction des risques (Nouvelle-Zélande, Autriche, …), d’autres se montrent plus réservés (le Brésil a indiqué qu’ils « peuvent être vus comme une forme de soins palliatifs, pas comme un traitement à même de soigner la maladie sous-jacente »). L’Afrique du Sud a été très hostile à ce segment de travail, notant que « les efforts de réduction des risques proposés, qui maintiennent la valeur de la dissuasion, sont contradictoires et sans valeur ni contribution au désarmement nucléaire » First Preparatory Committee Of The Eleventh Review Conference Of The Treaty On The Non-Proliferation Of Nuclear Weapons (Npt), South African National Statement For Cluster I – Nuclear Disarmament, 3 août 2023.. Le Prepcom 2023 a également permis de constater :

  • Les efforts de la France pour continuer de dénoncer le programme nucléaire nord-coréen, avec une déclaration soutenue par 74 Etats, et une critique des présences russe et chinoise lors du défilé marquant le 70e anniversaire de la fin de la guerre de Corée à Pyongyang en juillet ;
  • Une attention portée au thème de l’irréversibilité du désarmement nucléaire, poussé en particulier par le Royaume-Uni, la Norvège, le Mexique et l’AutricheVoir la déclaration commune de ces Etats, 3 août 2023. ;
  • Une adhésion forte autour des termes « transparency » et « accountability », mais des positions plus critiques vis-à-vis de la notion de « responsibility », le Brésil notant que « le concept de possession ‘responsable’ d’armes de destruction massive est un oxymore. La responsabilité n’est pas binaire, ni les comportements. Les doctrines de dissuasion nucléaire, même les plus défensives, s’appuient toujours sur la menace de l’utilisation d’armes nucléaires »1st Session of the Preparatory Committee for the 2026 Review Conference of the Parties to the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons Vienna, 31 July – 11 August 2023 Cluster 1: Nuclear Disarmament Statement by the Delegation of Brazil Delivered by H.E. Flávio Soares Damico, Ambassador, Special Representative of Brazil to the Conference on Disarmament, 3 août 2023. ;
  • La volonté toujours constante de la communauté des Etats parties du TIAN de défendre la complémentarité entre TIAN et TNP, avec un side-event consacré à ce sujet ainsi qu’une déclaration commune ;
  • Le soutien partagé du P5 au réseau de jeunes professionnels (YPN) constitué depuis un an. Ce groupe, lancé sous les présidences française et américaine du P5, comprend trois jeunes experts de chaque pays. Il s’est réuni plusieurs fois à distance en 2022-2023. Des think-tanks, pour  l’instant le CSIS et la FRS, ont animé les rencontres. A l’occasion du Prepcom, le groupe s’est réuni pour la première fois et a présenté ses travaux préliminaires publiquement lors d’un side-event. La présidence russe qui s’ouvre a confirmé son intention de poursuivre le YPN.
  • Enfin, la difficulté à intégrer certains développements en cours, comme l’annonce russe d’un possible retrait du TICE, qui n’a été que très peu mentionnée dans le cours de la conférenceElena Tchernenko, « Для ДВЗЯИ пришла пора испытаний » [Temps d’épreuve pour le TICE] », Kommersant, 3 août 2023..

A l’issue de la conférence, son Président Jarmo Viinanen (Finlande) a souhaité publier un résumé factuel des débatsDraft Factual Summary, NPT/CONF.2026/PC.I/CRP.3, Preparatory Committee for the 2026 Review Conference of the Parties to the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons, 10 août 2023.. Néanmoins, plusieurs délégations s’y sont virulemment opposées, en particulier la Russie, la Chine ou l’Iran (et la Syrie), qui ont obtenu que le texte et des recommandations personnelles, que M. Viinanen souhaitait publier en son nom propre ou sous forme de document de travail pour le prochaine Prepcom, disparaisse des archives officielles. Mis à part ces pays, la quasi-totalité des Etats ont dénoncé vivement cette situation, notant qu’elle constitue un précédent nuisible, puisque les règles de procédures n’empêchent nullement le Président de publier des textes en son nom propre. Cela avait été le cas en 2017, 2018 et 2019. Comme l’année précédente cependant, le blocage procédural imputable à l’Iran et ses alliés de circonstances ne peut pas gommer les divergences de fond importantes sur le document final, notamment sur la dissuasion, le désarmement, et l’articulation entre le TNP et le TIAN ou encore les accords de garantie et les protocoles de l’AIEA.

Au niveau procédural, le comité a été précédé d’une semaine consacrée au renforcement du cycle d’examen. Les discussions n’ont pas abouti à l’adoption d’un rapport consensuel, mais de nombreuses délégations ont salué les travaux effectués. Le groupe de travail, également présidé par J. Viinanen, a évoqué les questions de transparence et de partage d’information. Des points plus techniques ont été abordés, tels que la nomination des présidents, la gestion du temps lors des réunions, et la division des tâches entre commissions principales et organes subsidiaires. Plusieurs pays et ONG (UE, ELN, NPDI) ont fait des recommandations à cette occasion, avec des suggestions spécifiques (réduire la durée des déclarations nationales, créer un fonds pour payer les frais de participation des plus petits pays), ou générales (accroître la participation des ONG). Plusieurs acteurs ont proposé la création d’un système institutionnel de mise en œuvre du TNP, pouvant accompagner les réunions mais également le processus intersessionnel. Il a été suggéré à plusieurs reprises de consacrer des moments spécifiques des réunions à la discussion des rapports nationaux. Enfin, les documents de travail publiés font mention de moyens visant à favoriser l’émergence d’un consensus à l’issue des réunions en évacuant rapidement les sujets sur lesquels les Etats sont en accord pour se centrer sur les points difficilesProtecting the Non-Proliferation Treaty, European Leadership Network, juillet 2023..

Le Président a rédigé une synthèse de ces propositions, intégrée au corpus du comité Prepcom, avec 26 recommandations concrètes. Il s’agit en particulier de limiter les temps de parole, mieux répartir les sujets aux différents sous-groupes, dédier du temps à l’examen du traité sur la période passée, faire circuler plus tôt dans la conférence le projet de document final, compiler les suggestions des différents documents de travail, utiliser les organes subsidiaires de manière plus ciblée, nominer plus tôt les différent(e)s président(e)s, nommer l’UNODA comme secrétariat permanent du TNP, favoriser des rapports nationaux standardisés pour les Etats dotés et les examiner de manière interactive sur des périodes ciblées dans le cycle d’examen et favoriser la participation de tous les Etats aux conférences et lors des consultations informellesWorking paper from the Chair of the working group on further strengthening the review process of the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapon, NPT/CONF.2026/PC.I/WP.34, Preparatory Committee for the 2026 Review Conference of the Parties to the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons, 3 août 2023.. Malgré l’absence d’unanimité sur ces recommandations, une grande majorité d’Etats ont indiqué leur souhait de poursuivre cette discussion.

 

 

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