Vérification du désarmement nucléaire : l’IPNDV fête son 10e anniversaire
Observatoire de la dissuasion n°123
Emmanuelle Maitre,
octobre 2024
Il y a dix ans, les États-Unis invitaient un groupe d’États à réfléchir conjointement aux défis de la vérification du désarmement nucléaire dans un contexte multilatéral. L’International Partnership for Nuclear Disarmament Verification (IPNDV) est depuis devenu un acteur majeur des réflexions sur la vérification du désarmement nucléaire. Cette initiative, contribution à l’obligation de désarmement contenue à l’article 6 du TNP, est venue en complément et succession d’autres programmes ayant eu pour objectif de réfléchir aux enjeux pratiques, technologiques, scientifiques et politiques liés à la vérification du désarmement nucléaire. Les Etats-Unis et la Russie, mais aussi le Royaume-Uni et la Norvège, avaient en particulier mené des projets plus ou moins avancés dans ce domaine. Ces réflexions se basent sur la conviction que si un traité de désarmement était négocié, des mécanismes approfondis de vérification seraient nécessaires pour générer une certaine confiance dans le processus.
Une trentaine de pays ont participé à l’IPNDV depuis dix ansAllemagne, Argentine, Australie, Belgique, Brésil, Canada, Chili, Corée du Sud, Émirats Arabes Unis, États-Unis, Finlande, France, Hongrie, Indonésie, Italie, Japon, Jordanie, Kazakhstan, Mexique, Pays-Bas, Nigéria, Norvège, Philippines, Pologne, Roumanie, Royaume-Uni, Saint-Siège, Suède, Suisse, Türkiye., autour de trois phases. La phase I de l’IPNDV s’est structurée autour de quatre réunions plénières et trois réunions des groupes de travail et s’est achevée en novembre 2017 à Buenos Aires. À l’issue de la première phase, une cinquantaine de papiers ont été publiés par les groupes de travail. De manière plus globale, le Partenariat s’est accordé autour d’un processus en 14 étapes (voir illustrationDocument officiel de l’IPNDV, traduction en français par la FRS.).
Dans la pratique, la première phase a largement consisté à informer les participants des initiatives menées précédemment en matière de vérification : New Start, UK-Norway Initiative (UKNI), Trilateral Initiative, mais aussi les leçons tirées en matière de vérification par des organisations telles que l’AIEA et l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC). Elle s’est orientée rapidement sur la phase centrale du démantèlement d’une arme nucléaire. En effet, d’un point de vue technique, cette phase semble présenter le maximum de de défis, tout en étant essentielle pour créer de la confiance dans un processus de désarmement.
La phase II, lancée en 2018, a vu la mise en place de trois nouveaux groupes de travail, respectivement dédiés à la vérification des déclarations préalables, à la vérification des réductions (surveillance, suivi du démantèlement) et aux technologies liées. La phase II a donné lieu à quatre réunions des groupes de travail et à deux réunions plénières, dont la dernière, à Ottawa, en décembre 2019, a conclu la phase. Durant cette période, le groupe a développé des procédures inédites et a réfléchi à de nouvelles dimensions de la question. Il a accru sa communication externe et valorisé ses travaux, en particulier durant les réunions du cycle d’examen du TNP. Par ailleurs, certains membres ont utilisé le forum comme un incubateur pour lancer des projets de démonstration technologique. Ces projets ont été présentés au groupe et illustrent le rôle de mise en relation et de stimulant pour le lancement de nouvelles initiatives plus concrètes ou plus techniques. Plusieurs projets nationaux ou binationaux ont ainsi vu le jour, de manière indépendante, même s’ils sont intégrés à la logique du Partenariat. Ainsi, on peut citer un exercice mené par la Belgique au Centre d’étude de l’énergie nucléaire de Mol (septembre 2019), visant à évaluer les méthodes de mesure cherchant à prouver l’absence ou la présence de plutonium. La France et l’Allemagne ont également conduit en 2019 un exercice ouvert aux autres partenaires visant à tester certaines des procédures identifiées lors de la première phase de l’IPNDV. Ce partenariat, intitulé NuDiVe, a donné lieu à un nouvel exercice en 2022.
La troisième phase, lancée en 2020, va s’achever en 2025. Elle a notamment permis de travailler sur des scénarios plus détaillés impliquant un État fictif devant mettre en œuvre de manière vérifiée des obligations de désarmement liées à la mise en œuvre d’un traité multilatéral. En particulier, les membres du groupe ont travaillé successivement sur un scénario de limitation (réduction du stock nucléaire de 1000 à 500) puis d’élimination progressive de 500 à zéro arme nucléaire. Ce travail a notamment permis de mieux comprendre l’environnement lié au démantèlement et à l’élimination des composants pour permettre de proposer des procédures plus réalistes.
Au cours des trois phases, l’IPNDV a permis de réfléchir à des outils conceptuels, politiques, scientifiques et techniques permettant de rendre la vérification plus efficace. C’est notamment le cas des déclarations initiales, dans lesquelles un État devrait déclarer de quels types d’armes il dispose et leur localisation. Le groupe a également mis en place des procédures d’inspection et de surveillance prenant en compte des aspects très pragmatiques ou plus conceptuels comme la création de la confiance entre la partie inspectée et les inspecteurs. Au niveau technologique, un travail important a été conduit sur les détecteurs de matières fissiles et les systèmes de barrière à l’information, qui permettent notamment de confirmer qu’un objet est bien une tête nucléaire sans accéder à ses composants (pour des raisons de sécurité nationale et de non-prolifération).
Conçu pour donner un écho multilatéral à une question liée au désarmement, dans une perspective globale d’ouverture souhaitée par l’administration Obama, l’IPNDV est depuis dix ans un outil de pédagogie qui permet de partager certaines analyses et connaissances, notamment américaines, avec des États souhaitant travailler ensemble. Il vise également à passer des messages sur les limites de la vérification, et en particulier sur les restrictions justifiées par la fiabilité, la sécurité et la sûreté des arsenaux encore fonctionnels. De ce point de vue, même s’il reste parfois abstrait, en particulier du fait du refus des pays des considérer des scénarios réalistes, le groupe est utile et montre à des acteurs novices l’ensemble des problématiques se posant tout en améliorant leurs connaissances du sujet.
Si le contexte ne contribue pas à rendre très concrètes les réflexions liées au désarmement nucléaire, l’IPNDV souligne après dix ans qu’il reste encore de nombreux aspects pouvant faire l’objet de travaux théoriques, d’exercices et de réflexions collaboratives. Les partenaires partagent donc largement l’idée de poursuivre cette initiative, y compris au-delà de 2025, date à laquelle la phase III prendra fin.
Dans le même temps, le thème de la vérification est traité au niveau multilatéral avec des groupes d’experts gouvernementaux qui ont exploré ce thème entre 2018 et 2019 et entre 2022 et 2023. À l’issue de ces travaux, plusieurs États ont soutenu l’option de créer un groupe d’experts scientifiques et techniques sur le sujet, sous l’impulsion du Brésil et de la Norvège. De leur côté, les États membres du Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN) travaillent également sur la question de la vérification bien qu’à un stade beaucoup plus préliminaire à ce jour. L’IPDNV est donc non seulement un processus technique mais également une vision politique des préconditions liées à un désarmement vérifié, et doit aujourd’hui défendre sa position vis-à-vis de visions alternatives basées sur des hypothèses différentes.