Le couple franco-allemand et les questions nucléaires : vers un rapprochement ?

Le couple franco-allemand est celui des occasions manquées en ce qui concerne les questions nucléaires, avec des décisions historiques antagonistes qui pèsent encore dans les rapports actuels. En France, la création d’une force de dissuasion nationale s’est accompagné d’une recherche d’autonomie, y compris à l’égard de l’OTAN, et d’une volonté de soutenir l’importance de la dissuasion dans la préservation des équilibres stratégiques. En Allemagne, après un renoncement tardif à toute ambition nucléaire, le sujet a été abordé dans le cadre de l’OTAN avant que les grands mouvements pacifistes de la fin de la Guerre froide ne provoquent une grande réticence à reconnaître le rôle de la dissuasion. Les années récentes ont cependant vu un certain rapprochement des positions des deux partenaires qui pourrait leur permettre d’être plus influents dans la résolution des tensions actuelles tant en matière de stabilité stratégique, que de maîtrise des armements, non-prolifération et de désarmement.

Lorsque le couple franco-allemand est étudié, la question nucléaire est rarement perçue comme un élément central des relations entre les deux partenaires. Souvent éclipsée par les questions économiques ou liées à l’intégration européenne, elle apparaît pourtant en filigrane depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ambiguës, les relations des deux puissances européennes à ce sujet ont été marquées tour à tour et selon les sujets par la suspicion, la coopération, la compétition, le rapprochement voire l’incompréhension. Les premiers échanges dans ce domaine ont eu lieu dès l’après-guerre, lorsque les deux États ont débattu de l’opportunité de se doter de l’arme atomique, procédant à des choix différents, l’Allemagne fédérale opérant sous une contrainte politique et juridique forte. Intégration à l’OTAN, coopération nucléaire européenne, réarmement de l’Allemagne, plusieurs options ont été étudiées pour répondre aux craintes des deux partenaires face à la menace soviétique. Dans les deux cas, les choix qui ont été effectués, ont aussi intégré une dimension bilatérale, avec en France une volonté initiale de ne pas laisser l’Allemagne redevenir trop rapidement une puissance militaire majeure, notamment grâce à l’arme nucléaire, puis des velléités de coopérations bilatérales, et en Allemagne des réticences à voir la France dominer seule l’Europe occidentale.

Au cœur de la Guerre froide, les deux pays ont chacun à leur manière, mais dans une perspective d’échanges constants, utilisé le nucléaire pour assurer leur sécurité. Quelques épisodes célèbres ont amené Paris et Berlin à s’interroger mutuellement sur les positions à adopter, comme le débat sur la constitution d’une Multilateral Force (MLF) nucléaire au sein de l’OTAN ou encore la crise des Euromissiles.

À l’aube du xxie siècle, les deux États ont adopté des trajectoires divergentes sur les questions nucléaires. En Allemagne, la fin des tensions de la Guerre froide a conforté le soutien de l’opinion publique et de la classe politique pour le désarmement nucléaire. La diplomatie allemande a donc pris quelques distances avec la dissuasion nucléaire, à l’origine de certaines divergences de vue notamment au sein de l’OTAN. À l’inverse, la France est restée beaucoup plus prudente sur ces questions en anticipation de nouvelles menaces et n’a souscrit qu’avec réticences et sous conditions à la perspective d’un monde sans arme nucléaire. En revanche, en matière de non-prolifération, les deux partenaires ont réussi à adopter des positions communes rendant leurs actions plus efficaces sur la scène internationale.

L’évolution de la situation stratégique dans les années récentes constitue une nouvelle occasion de reconsidérer le facteur nucléaire au sein de l’Alliance. Par ailleurs, l’achèvement difficile du dernier cycle d’examen du TNP et l’adoption d’un Traité d’interdiction des armes nucléaires donnent lieu à une réflexion sur les possibles stratégies permettant de rouvrir un dialogue constructif en matière de non-prolifération et de désarmement. Dans les deux cas, la France et l’Allemagne sont face à des enjeux conséquents, et leurs prises de position sont étudiées avec attention. Aussi, il est opportun de revenir sur le couple franco-allemand en matière de nucléaire, de présenter les points de convergence mais aussi de divergence entre les deux partenaires, et d’analyser les sujets sur lesquels un dialogue et des réflexions communes pourraient permettre une meilleure compréhension des problématiques propres à chaque État mais également l’infléchissement de politiques plus cohérentes pour une meilleure efficacité sur la scène internationale.

Des parcours divergents en matière de dissuasion

La naissance de la force de frappe française : entre tensions et collaboration

Pour l’Allemagne et la France, le débat autour du nucléaire militaire n’aurait pas pu s’ouvrir dans un climat plus défavorable. En effet, l’histoire douloureuse des trois conflits ayant opposé les deux pays en moins d’un siècle n’a pas été étrangère au choix de la Quatrième République de se donner la capacité, au sein du CEA, de poursuivre un programme militaire. Lorsque ce choix a été officialisé, ses justifications étaient principalement – outre un besoin d’affirmer sa souveraineté et rehausser le prestige national – des craintes sécuritaires vis-à-vis de MoscouBruno Tertrais, « Destruction Assurée : The Origins and Development of French Nuclear Strategy, 1945-1981 », in Henry D. Sokolski (dir.), Getting MAD: Nuclear Mutual Assured Destruction, Its Origins and Practice, Carlisle, PA: Strategic Studies Institute, 2004.. Mais il a été montré que les premières décisions ayant permis au programme de s’étoffer avaient bien pour motivation de se prémunir contre un éventuel retour d’une puissance allemande hostileJacques E. C. Hymans, The Psychology of Nuclear Proliferation, Identity, Emotions and Foreign Policy, University of Cambridge, 2006.. À ce titre, le réarmement de l’Allemagne en 1954 aurait joué un rôle dans les choix effectués par Pierre Mendès-France en faveur d’une option militaire.

Paradoxalement, les méfiances vis-à-vis de Bonn ont donné lieu au plan nucléaire à des propositions, en apparence, contradictoires mais traduisant côté français la même volonté de ne pas laisser l’Allemagne acquérir unilatéralement l’arme nucléaire. Ainsi, certaines initiatives visaient à se lier mutuellement les mains, comme l’article 107 et l’Annexe II du Traité établissant une Communauté européenne de Défense (CED) de 1952, qui interdisait aux États signataires de détenir annuellement plus de 500 g de plutonium sans l’accord des autres membres, traité et qui, s’il avait été adopté, aurait donc fortement contraint voire interdit le programme nucléaire français alors secretJacques Bariety, « La décision de réarmer l'Allemagne, l'échec de la Communauté Européenne de Défense et les accords de Paris du 23 octobre 1954 vus du côté français », Revue belge de philologie et d'histoire, vol. 71, n°2, 1993.. Suite à l’échec du Traité, les accords de Paris du 23 octobre 1954, permettant le réarmement progressif de la RFA et son intégration dans l’OTAN, ont donc été acceptés par Paris avec la conviction que la France pouvait se permettre de coopérer puisqu’elle préservait un avantage stratégique grâce aux avancées de son programme nucléaire, alors que Bonn s’était juridiquement engagé « à ne fabriquer sur son territoire aucune arme atomique, chimique ou biologique »Traité de Bruxelles Modifié, Protocole N° III relatif au Contrôle des Armements, Signé à Paris le 23 octobre 1954, Entré en vigueur le 6 mai 1955..

Pourtant, l’échec de la CED et la mise en place des Accords de Paris ne signifiaient pas la fin de toute entreprise coopérative dans le domaine nucléaire entre les deux pays, d’autant plus que l’Allemagne, s’étant vu interdire un programme national, était devenue tributaire de la coopération avec des tiers. Ainsi, en 1957 et 1958, Paris, Bonn et Rome s’engageaient discrètement dans des accords collaboratifs signés à Colomb-Béchar permettant, le 8 avril 1958, d’envisager la construction d’une usine de séparation isotopique à Pierrelatte bénéficiant aux trois partenaires. Ces avancées démontraient que du côté allemand, l’engagement de ne pas fabriquer d’armes sur son territoire ne signifiait pas un renoncement total et que le gouvernement du Chancelier Adenauer, et en particulier le ministre de la Défense, Franz-Josef Strauss, voyaient sous un jour favorable la construction d’un arsenal nucléaire en Europe impliquant au moins indirectement l’Allemagne. Pour la France, les motivations étaient sans doute duales : coopérer pour rendre plus efficace et rapide le programme en cours dans un contexte de doutes sur la crédibilité de la dissuasion élargie américaine, tout en en partageant les coûts importants, mais également travailler en binôme avec l’Allemagne pour éviter que celle-ci ne s’embarque dans un programme nucléaire autonomeGeorges-Henri Soutou, « Les accords de 1957 et 1958 : vers une communauté stratégique nucléaire entre la France, l'Allemagne et l'Italie? », Matériaux pour l’histoire de notre temps, vol. 31, n°1, 1993.. Il est difficile de savoir si cette collaboration tripartite formelle aurait donné le jour à une force nucléaire commune entre les trois États, ou un simple partage de l’uranium enrichi et des programmes de recherche communs. Le général de Gaulle y a en effet mis fin lors de son retour au pouvoir en 1958. Cet épisode illustre néanmoins la tentation de constituer une force nucléaire européenne indépendante, en complément à l’arsenal américain affecté à l’OTAN, perspective alors perçue des deux côtés du Rhin comme intéressante.

Par ailleurs, pour le chancelier Adenauer, la possession d’armes nucléaires, ou tout du moins la capacité d’en transporter, devait prouver que l’Allemagne ne souffrait plus d’un statut discriminatoire, mais également qu’elle était en mesure d’assurer en partie sa défense dans un contexte d’infériorité numérique par rapport à l’URSS. Aussi, la RFA a débattu de l’opportunité de respecter son engagement pris à Paris en 1954 dans une situation de forte contrainte, puis celle d’accéder au TNP, ratifié seulement en 1975. L’Allemagne fédérale a, à l’époque, été l’un des pays qui a plaidé pour une durée limitée pour le TNP et le principal défenseur de la « clause européenne » du TNP, interprétation garantissant qu’une Europe fédérale hériterait du statut nucléaire de la France au regard du Traité. En parallèle et contrairement à la France, Bonn a renoncé à l’ambition de disposer d’une force nucléaire propre, mais a cherché à jouer un rôle de premier plan au sein de l’OTAN et notamment concernant l’emploi des forces nucléaires de l’AllianceJenifer Mackby et Walter Slocombe, « Germany: The Model Case, A Historical Imperative », in eds. Kurt Campbell, Robert Einhorn, Mitchell Reiss, The Nuclear Tipping Point : Why States Reconsider Their Nuclear Choices, Brookings Institution Press, 2004..

Divergences et convergences sous la menace soviétique

Dans ce contexte, l’Allemagne a augmenté sa participation dans les structures militaires intégrées de l’OTAN, et en particulier au sein du Commandement Suprême des Forces Alliées en Europe (SHAPE), même si elle a initialement refusé les propositions d’accueillir des missiles Thor et Jupiter, de peur de susciter une opposition farouche à l’extérieur de ses frontières. À partir de 1960, elle acceptait cependant d’acquérir des avions à capacité duale mais également d’accueillir des missiles à capacité nucléaire, selon le principe du système de la double clé. À cette époque, la décision française de fonctionner de manière beaucoup plus autonome a notamment provoqué des réflexions appro­fondies à Bonn pour resserrer les liens avec l’OTAN, particulièrement en matière nucléaire. Plusieurs options ont ainsi été débattues pour donner aux alliés non-dotés plus de poids dans les décisions nucléaires de l’Alliance, voire même pour constituer l’OTAN comme véritable quatrième puissance nucléaire. La Multilateral Force (MLF) a représenté le projet le plus abouti, et a été considérée en Allemagne comme un pas dans la bonne direction même si insuffisant.

En plein débat sur la MLF, deux visions continuaient de coexister entre la France et l’Allemagne sur l’opportunité d’une plus grande intégration des forces européennes et de l’OTAN. En effet, notamment dans le contexte du Traité de l’Élysée, un mouvement commun en France et en Allemagne défendait l’idée de ne pas placer le continent dans une situation de dépendance totale vis-à-vis de Washington, mais au contraire de travailler autour de la notion d’une force nucléaire européenne, option évoquée par l’ancien ministre de la Défense Franz Josef Strauss en 1963. Cela répondait à la position française, qui, initialement favorable à la participation allemande à la MLF, commençait à cette époque à s’y opposer en estimant que Bonn devait choisir entre intégration européenne et MLF. Néanmoins et malgré les ouvertures des uns et des autres, le président de Gaulle n’a pas fait d’offres concrètes d’extension ou de coopération franco-allemande en matière de dissuasion.

En 1966, l’idée de MLF a progressivement été enterrée, mais l’OTAN, avec les instruments existants (Nuclear Policy Group, Dual-Capacity Aircrafts), restait le cadre de référence pour la RFA, dont l’abandon de toute ambition nucléaire nationale était rendu évident par la ratification du TNP en 1975. A l’opposé, la France prenait une direction toute autre, sortant du commandement intégré de l’OTAN et en particulier de toutes les structures traitant de planification nucléaire et en refusant de signer le TNP au nom d’une critique du duopole nucléaire américano-soviétique.

Durant la deuxième partie de la Guerre froide, certaines problématiques ont continué à se poser aux deux partenaires. Ainsi, face aux craintes de « découplage » entre les intérêts européens et américains, les deux États ont pu évoquer à mots voilés la possibilité de « contre-assurance » française en cas de menace sur l’Allemagne, proposition reprise sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing en 1976 avec la notion de « sanctuarisation élargie »André Adrets, « Les relations franco-allemandes et le fait nucléaire dans une Europe divisée », Politique Etrangère, vol. 49, n°3, 1984.. D’autres, nouvelles, sont apparues. Avec la constitution d’une force nucléaire préstratégique à très courte portée en France (missiles Pluton), en accord avec la doctrine d’ultime avertissement, l’Allemagne a fait part de ses craintes de voir son territoire servir de champ de bataille nucléaire. Ses inquiétudes ont été légèrement réduites par le remplacement des Pluton par les Hadès, de portée supérieure permettant d’atteindre la RDA, et l’engagement français à consulter ses homologues allemands sur l’emploi d’armes nucléaires envoyées depuis ou vers le territoire allemand. Mais Bonn est restée fondamentalement mal à l’aise avec un système destiné à frapper en territoire allemand, fusse en RDA, territoire ayant vocation à réintégrer le giron fédéral, et avec lequel la diplomatie allemande essayait d’entretenir des relations de plus en plus fortesDavid Yost, « La coopération franco-allemande en matière de Défense », Politique Etrangère, vol. 53, n°4, 1988..

La crise des Euromissiles a été un autre sujet sur lesquels les deux pays ont eu à comparer leurs perspectives. Tout en s’inquiétant du déploiement des SS‑20 soviétiques, les Français étaient dans un premier temps restés relativement discrets sur la réponse de l’OTAN, mais avec le discours du président Mitterrand au Bundestag en 1983 (« les pacifistes sont à l’Ouest, les missiles à l’Est »), Paris a marqué clairement son soutien aux autorités allemandes et à la double décision, marquant son attachement à l’idée d’une solidarité européenne dans le cadre de l’OTANFrédéric Bozo, Mitterrand, la fin de la Guerre froide et l’unification allemande, de Yalta à Maastricht, Odile Jacob, 2005..

Évolutions depuis la fin de la Guerre froide

Depuis la fin de la Guerre froide, Paris et Berlin ont en revanche eu davantage de difficultés à faire converger leurs positions sur le rôle de la dissuasion nucléaire en Europe. Dans le sillage des mouvements populaires des années 1990, l’opinion publique allemande, fortement pacifiste et antinucléaire, s’est logiquement répercutée sur les dirigeants politiques, en particulier côté SPD et Verts, ce qui a influencé les positions officielles du gouvernement. Celui-ci a donc cherché à influencer le débat au sein de l’OTAN en faveur de la maîtrise des armements et du désarmement en apportant un soutien appuyé au traité sur les Forces nucléaires intermédiaires (FNI) en 1987, alors que la France avait une attitude plus prudente, voire gardée, à l’égard des initiatives de désarmement de la fin de la Guerre froide.

Depuis la fin de la Guerre froide, plusieurs initiatives sont particulièrement à signaler. En 1998, le ministre des Affaires étrangères vert Joschka Fischer a demandé à ce que l’OTAN adopte une posture de non-emploi en premier, une requête très mal accueillie par les autres membres de l’AllianceOlivier Meier, « The German Debate on Tactical Nuclear Weapons », Recherches & Documents, n° 2/2008, janvier 2008.. En 2010, le nouveau ministre des Affaires étrangères libéral Guido Westerwelle s’est fait connaître pour ses demandes publiques du retrait des armes nucléaires stationnées sur le sol allemand, et pour son activisme « antinucléaire » en préparation du Sommet de Lisbonne chargé de redéfinir le concept stratégique de l’OTAN. Dans les deux cas, ces orientations ont été mal accueillies par la France. Si des discussions ont été organisées en amont des Sommets pour tenter de concilier les positions des deux paysIan Traynor, « Germany and France in nuclear weapons dispute ahead of Nato summit », The Guardian, 18 novembre 2010., les partenaires ont marqué des différences réelles peu conformes avec l’idée d’un partenariat franco-allemand. Côté allemand, Berlin a défendu le déploiement d’une défense antimissile en Europe ayant vocation à se « substituer » à terme à la dissuasion nucléaire, perspective reçue avec beaucoup d’hostilité outre-Rhin. À Paris, l’enthousiasme allemand pour un monde sans arme nucléaire a été perçu comme un coup porté à la légitimité de la dissuasion nucléaire, au sein de l’OTAN, mais également en dehors. Il a donc été particulièrement complexe de s’accorder sur un langage commun lors du sommet de Lisbonne en 2010, Paris et Berlin apparaissant alors comme les deux pôles extrêmes du débat nucléaire au sein de l’OTAN.

En-dehors de l’OTAN, les deux pays ont également eu des trajectoires divergentes. D’une part, les Présidents français ont progressivement indiqué que les intérêts vitaux du pays pouvaient s’étendre aux partenaires européens, alors que des hommes politiques comme Alain Juppé ont fait usage du terme de « dissuasion concertée ». D’autre part, l’idée de progressivement mutualiser la dissuasion à l’échelle européenne ou franco-allemande a été régulièrement évoquée dans différents cercles de réflexion, comme par exemple dans les propositions de la Fondapol pour les élections présidentielles en 2012Fondapol, 12 idées pour 2012, Pour une Fédération Franco-Allemande (10/12).. Néanmoins, ces propositions n’ont pas trouvé d’écho favorable en Allemagne, notamment dans les dernières années du xxe siècle où l’opinion publique et la grande majorité de la classe politique étaient encore très critiques de la reprise des essais nucléaires français et ne souhaitaient pas être associées à la dissuasion française dans ce contexte. La dernière référence à la dissuasion dans un document franco-allemand remonte au chancelier Kohl et à Jacques Chirac en 1996, à l’occasion du Sommet de Nuremberg« Nos pays sont prêts à engager un dialogue concernant la fonction de la dissuasion nucléaire dans le contexte de la politique de défense européenne », Concept commun franco-allemand en matière de sécurité et de défense, 16e Sommet du Conseil Franco-Allemand de Sécurité et de Défense..

Suite à cela, l’Allemagne est restée peu intéressée par ces propositions jugées à Berlin peu compatibles avec les efforts menés en faveur de la non-prolifération, contestables au regard du droit international et peu urgentes au regard de l’environnement stratégique. Les perspectives d’un travail en commun sur la dissuasion, très présentes dans les cercles d’experts voire officiels jusqu’au début des années 1990, ont ainsi quasiment disparu, la disponibilité française périodiquement affichée se heurtant au mieux à une indifférence polie et souvent à une franche hostilité.

Non-prolifération : une prise de conscience partagée

Une prise de conscience tardive

En matière de non-prolifération, contrairement à la question de la dissuasion, les positions de part et d’autre du Rhin ont eu tendance à converger. Aujourd’hui, malgré des différences d’interprétation et quelques nuances, les deux États poursuivent une politique relativement similaire et c’est sur la question du désarmement que les désaccords restent substantiels. Historiquement, les deux pays ont été accusés de manquer de rigueur dans la mise en œuvre de leur politique de non-prolifération, avec en particulier une réticence à appliquer des mesures strictes de contrôle des exportations des biens à double usage motivée par des considérations économiques et industrielles, et non pas politiques. Côté allemand, ce travers a conduit le gouvernement de la RFA pendant les années 1970-1980 à une politique attentiste voire restrictive vis-à-vis des mandats de vérification de l’AIEA, et à des lois très permissives et peu inquisitrices concernant le contrôle des exportations. Outre la volonté de ne pas apparaître comme un pays de deuxième catégorie soumis à des inspections intrusives, cette politique était avant tout guidée par la volonté de promouvoir l’industrie nucléaire allemande alors très activeHarald Müller, « Germany and WMD Proliferation », The Nonproliferation Review, été 2003..

Côté français également, le discours politique a pu être en contradiction avec une politique commerciale ambitieuse, paradoxalement parfois motivée par la volonté de ne pas être supplanté par des concurrents allemands. Lorsque Paris a adopté des directives plus contraignantes, elle a veillé à s’assurer que Berlin en fasse autant, n’hésitant pas à promouvoir une politique commune visant à faire front contre la pression imposée par Washington en faveur de contrôles resserrés sur les exportations de technologiesGeorges-Henri Soutou, « La France et la non-prolifération nucléaire », Revue historique des armées, n°262, 2011..

Des révélations sur l’implication d’industriels allemands et français dans des réseaux de prolifération connus ayant contribué à la construction de sites nucléaires au Pakistan, Irak, Libye ou encore Iran, et ce aussi tardivement que dans les années 1990, ont été fortement médiatisées. Ces affaires ont conduit à une prise de conscience au niveau des gouvernements, qui ont pris les mesures nécessaires pour durcir leurs contrôles à l’exportation et enfin assujettir les exportations nucléaires françaises et allemandes aux politiques de non-prolifération les plus exigeantes (garanties intégrales) à partir des années 1990Stefan Kornelius, « The Evolution of Germany’s Nonproliferation Policy », U.S.-European Nonproliferation Perspectives A Transatlantic Conversation, A Report of the CSIS International Security Program and Europe Program, avril 2009..

Une action commune dans les crises du xxie siècle

Les crises du xxie siècle ont permis aux deux acteurs de redéfinir leur approche au regard de la non-prolifération. Ainsi, le cas irakien a été l’occasion de se distancier de la politique de contre-prolifération militaire prônée par l’administration Bush et de favoriser une résolution diplomatique de la crise basée sur des instruments multilatérauxXavier Pacreau, « La France et l’Allemagne à travers la crise iraquienne : objectifs et mobiles », AFRI, vol. 5, 2004..

Même si les relations historiques entre les deux nations et l’Iran ont pu varier, la France et l’Allemagne ont pris conscience de manière similaire au début des années 2000 de la nécessité de résoudre la crise ouverte par le programme nucléaire clandestin afin de préserver la crédibilité globale du régime de non-prolifération. Les deux États ont travaillé conjointement au sein des E3 sur la scène internationale pour favoriser un règlement diplomatique du litige et renoncer à une action militaire voire à une tentative de renverser le régime. Avec le Royaume-Uni et l’Union européenne, ils ont été des acteurs clés des négociations entre 2003 et 2006, avant d’être rejoints par la Russie, la Chine et les États-Unis. Même si les deux pays ont pu jouer des cartes différentes, l’Allemagne insistant sur un rôle de médiation grâce à ses bonnes relations historiques avec l’Iran, la France se montrant plus intransigeante pour aboutir à un accord plus robuste, les deux pays ont poursuivi un objectif commun ayant finalement abouti à l’accord signé le 14 juillet 2015.

Des nuances d’approche

Néanmoins, malgré le travail réalisé dans une optique commune, la France et l’Allemagne ont encore montré des perspectives légèrement différentes lors du traitement de cette crise, et par extension, des autres cas de prolifération dont la Corée du Nord. Pour Berlin en effet, la détention par le P5 d’armes nucléaires constitue un frein aux efforts diplomatiques menés pour convaincre les autres États de ne pas proliférer. Vu de Berlin, le désarmement est donc nécessaire pour éviter de valoriser par son comportement la possession d’armes nucléaires et donc inciter potentiellement d’autres États à rejoindre le club nucléaire.

La France adopte à ce sujet une position radicalement différente : elle a constaté pendant les années 1990, période d’efforts importants de désarmement des pays occidentaux et de la Russie, que de nombreux pays avaient poursuivi des programmes nucléaires (Iran, Corée du Nord, Libye, Irak…), ce qui l’a convaincu que les deux questions n’étaient pas liées. Par ailleurs, contrairement à l’Allemagne, la France doute de l’opportunité de concilier les non-alignés avec des efforts plus marqués en matière de désarmement, ayant constaté leurs prises de position souvent politisées et leur manque de prise de conscience du danger réel représenté par la prolifération nucléaireCamille Grand, « France, Nuclear Weapons and Nonproliferation », U.S.-European Nonproliferation Perspectives A Transatlantic Conversation, A Report of the CSIS International Security Program and Europe Program, avril 2009..

Malgré les divergences qui demeurent sur ce terrain, les deux États partagent depuis une dizaine d’années des priorités sur lesquelles ils mènent une politique active. On peut notamment penser au soutien apporté au Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE), à la fois politique et opérationnel, ou encore aux négociations visant à adopter un Traité d’interdiction de la production de matières fissiles pour des armes nucléaires (FMCT).

Le couple franco-allemand et le nucléaire au xxie siècle

Une adaptation au contexte sécuritaire international dans le cadre de l’OTAN

Au vu de cette histoire marquée par des oppositions nettes mais également par la prise de conscience de nombreux intérêts partagés en matière de nucléaire, la situation internationale pose logiquement des problématiques communes liées à ces questions, que les deux partenaires abordent de manière nuancée.

Concernant l’avenir de la dissuasion nucléaire, le début du xxie siècle, qui avait été le témoin d’un discours dominant sur le déclin du rôle du nucléaire et des tensions interétatiques, a cédé la place à une nouvelle ère de tensions entre grandes puissances. Celles-ci ont notamment lieu entre le camp occidental, d’une part, qui cherche à préserver le statu quo, et des puissances régionales qui revendiquent un rôle plus important comme la Chine et la Russie et tendent à contester l’ordre existant tout en voulant démontrer leur puissance. Dans les faits, et pour ce qui est du théâtre européen, on assiste à un durcissement des relations entre les alliés de l’OTAN et Moscou, cristallisé autour de crises régionales comme l’Ukraine et la Géorgie, et à une reconsidération du facteur nucléaire sous-jacent dans le discours des uns et des autres, mais également dans la mise en avant des programmes de modernisation ou dans les exercices menés aux frontières OTAN/Russie.

Lorsque ce revirement a commencé à se faire sentir, l’Allemagne a appelé à une réponse plus modérée que la France, répétant sa crainte que des actions trop fortes ne soient perçues comme des provocations et ne fassent qu’envenimer la crise. C’est pourquoi elle s’est tout d’abord montrée réservée voire réticente face aux propositions de certains membres de l’Alliance pour mettre davantage en avant le rôle nucléaire de l’OTAN, proposition qui lui paraissait porter le risque d’une nouvelle course aux armements nucléaires voire d’une escalade en cas de crise. A l’inverse, l’Allemagne a insisté sur les capacités conventionnelles et défensives de l’Alliance, et en particulier le déploiement de capacités antimissiles, tout en souhaitant dialoguer le plus possible avec Moscou pour la convaincre du caractère non-agressif de ces installations. En arrière-plan, le gouvernement allemand prenait en compte la réticence du peuple allemand vis-à-vis des armes nucléaires en général, et de celles stationnées sur son territoire en particulier, et préférait donc préserver le statu quo sans donner trop de publicité au caractère nucléaire de l’alliance.

La France est dans une perspective différente car elle est restée convaincue que la composante nucléaire doit être préservée dans le discours et dans les capacités essentielles pour la sécurité de l’Alliance, et ce d’autant plus que Moscou agite la carte nucléaire. Pour Paris, seul un très grand sérieux sur la détermination à soutenir une doctrine crédible, mais aussi à déployer les capacités techniques et opérationnelles afférentes, peut convaincre la Russie de ne pas franchir de lignes dangereuses et de ne pas abaisser le seuil d’emploi du nucléaire.

La combinaison entre dissuasion conventionnelle, antimissile et nucléaire au sein de l’OTAN est une problématique de premier ordre pour la France et l’Allemagne. Comment assurer la sécurité de l’Alliance et convaincre le Kremlin de sa détermination à en défendre ses membres, sans pousser Moscou à durcir sa politique déclaratoire, à acquérir de nouvelles capacités voire à s’engager dans de nouvelles démonstrations de force à l’étranger visant à affirmer sa puissance en interne et en externe ? Comment rassurer les alliés les plus inquiets face à la politique du président Poutine sans revenir sur des engagements pris envers la Russie dans les années 1990 et engendrer de nouvelles crises ?

La période très récente a néanmoins vu un rapprochement manifeste des positions entre les deux États. L’équilibre trouvé relativement facilement pour les documents du sommet de Varsovie, marque, à la différence des sommets précédents, des positions beaucoup plus similaires entre Paris et Berlin. Après plusieurs années de lutte, l’Allemagne a de fait renoncé à se faire le héraut d’une diminution du rôle des armes nucléaires dans la posture de l’Alliance et a ainsi accepté un « langage » nucléaire beaucoup plus proche des conceptions françaises. Cet infléchissement est visible dans les sommets officiels et les rencontres diplomatiques, mais semble même faire son apparition dans le débat public. Ainsi, si les quelques tribunes publiées en faveur d’une dissuasion allemande ou européenneUlrich Kühn, Tristan Volpe, Bert Thompson, « Tracking the German Nuclear Debate », Carnegie Endowment for International Peace, 7 septembre 2017., et le rapport commandé par un député sur la légalité d’un financement allemand des programmes de dissuasion français et britannique sont évidemment marginaux et ne constituent pas des propositions sérieusement envisagées, ils pourraient néanmoins signaler que le tabou entourant les questions nucléaires s’effritent et que le public allemand se convertit progressivement à l’idée que les armes nucléaires jouent encore un rôle dans les questions stratégiquesTristan Volpe et Ulrich Kühn, « Germany’s Nuclear Education: Why a Few Elites Are Testing a Taboo », The Washington Quarterly, vol. 40, n°3, automne 2017..

Lors de prises de position récentes, Berlin et Paris ont repris fidèlement les éléments de langage agréés à Varsovie et ont donc soutenu le fait que la dissuasion reste primordiale dans le contexte actuel. Cet élément majeur étant convenu, les deux pays ont semblé s’engager dans un dialogue plus serein où les divergences s’expriment sur des questions de degré et non plus de nature (formulation de la politique déclaratoire, équilibre entre dissuasion par interdiction et dissuasion par punition, stratégie et capacités adéquates pour assurer l’« escalation dominance »…).

Les difficultés à résoudre les différends avec Moscou ont évidemment joué un rôle important dans cette évolution. Pour autant, l’évolution allemande n’est pas seulement liée à la Russie et reflète également des modifications des équilibres politiques internes entre les partisans d’une politique étrangère bienveillante mettant l’accent sur le dialogue, le multilatéralisme et le désarmement et ceux plus réalistes priorisant la sécurité nationale et européenne.

Par ailleurs, l’élection à Washington d’un Président imprévisible ayant été assez critique du rôle de l’OTAN et des partenaires européens en particulier a aussi eu pour conséquence de ressouder le couple franco-allemand sur les questions de sécurité, au-delà des divergences de statut, et à chercher à insister sur les convergences plutôt que sur les points d’opposition, y compris sur la place de la dissuasion dans la défense du continent.

La prise en compte des nouvelles problématiques liées au désarmement et à la non-prolifération

La signature d’un accord avec Téhéran en 2015 a eu pour objectif de suspendre la question de la crise nucléaire iranienne pour les dix ans qui viennent. Par ailleurs, la question nord-coréenne est complètement bloquée et ni la France ni l’Allemagne n’ont aujourd’hui de politique active sur le sujet. En matière de non-prolifération, les enjeux semblent donc un petit peu moins pressants, même si les deux États, à l’instar de l’Union européenne en général, ont tout intérêt à s’assurer que le régime de vérification de l’AIEA est aussi solide que possible, à soutenir les initiatives visant au contrôle des exportations, les mesures de lutte contre le terrorisme NRBC (résolution 1540) ou encore à s’opposer à l’apathie d’une partie de la communauté internationale sur les questions de non-prolifération. Sur ces points précis, ou encore sur les efforts entrepris pour l’entrée en vigueur du TICE ou l’ouverture des négociations du FMCT, Paris et Berlin sont sur des positions relativement convergentes, qui recoupent globalement la stratégie de l’UE en matière de lutte contre la prolifération d’armes de destruction massive. Les deux pays peuvent donc accorder leurs politiques pour gagner en influence sur la scène internationale.

En revanche, et comme mentionné plus haut, l’Allemagne reste plus ambitieuse en matière de désarmement et défend régulièrement l’idée que le désarmement nucléaire est nécessaire pour convaincre les États non dotés de ne pas développer de programme proliférant, conviction qui n’est pas partagée par Paris. À ce titre, la diplomatie allemande est occasionnellement compliquée par la politique de stationnement d’armes nucléaires de l’OTAN sur son territoire, qui lui est ouvertement reprochée par des États non-nucléaires car perçue comme une forme d’hypocrisie.

Ceci explique partiellement sa politique ambiguë concernant l’avenir de ces capacités. Alors que l’Allemagne joue traditionnellement un rôle majeur dans la mise en œuvre des avions à double-capacité de l’OTAN, Berlin ne donne aucun signe de vouloir initier même l’esquisse d’un débat sur le renouvellement de la flotte vieillissante de Tornado et pourrait dans l’absolu sortir à terme de la mission nucléaire par une simple attrition des capacités aériennes capables de mener la mission. On notera que parmi les États DCA, l’Allemagne est le seul pays qui n’a pas engagé de processus pour remplacer les avions existants (l’Italie, la Turquie et les Pays-Bas ayant fait le choix du F35 et la Belgique ayant lancé un appel d’offres). Une décision pourrait venir après la formation d’une nouvelle coalition en 2018, mais le choix d’étendre à nouveau d’une décennie la durée de vie des Tornado pourrait repousser encore la décision sur la participation à moyen terme à la mission nucléaire de l’OTAN.

Cela explique également un positionnement traditionnel nuancé lors des forums consacrés à la non-prolifération et au désarmement, comme les conférences d’examen du TNP ou, dans les années récentes, les conférences sur les conséquences humanitaires des armes nucléaires et l’interdiction des armes nucléaires. Berlin s’est opposée à l’idée d’une convention d’abolition ou d’interdiction des armes nucléaires, et n’a pas participé aux négociations aboutissant à un Traité en juillet 2017. Cependant, elle défend la vision d’un monde sans arme nucléaire, par exemple au sein du groupe de travail ouvert sur le désarmement en 2016Introductory Statement by H.E. Ambassador Michael Biontino, Permanent Representative of Germany to the Conference on Disarmament, Open Ended Working Group on Nuclear Disarmament Geneva, 22 February 2016.. Dans ce cadre, elle appelle à des mesures concrètes et à une approche étape par étape, non sans se placer, comme d’autres, dans une position inconfortable pour un État membre de l’Alliance atlantique.

La France ne souffre pas de ces dilemmes puisque tout en insistant sur son propre bilan en matière de désarmement, elle ne lie pas le respect des obligations des États non-nucléaires aux évolutions des arsenaux des États nucléaires, qui dépendent selon elle avant tout de l’environnement sécuritaire dans lequel ils évoluent. Elle n’hésite donc pas à être plus directe, n’ayant par exemple pas participé aux conférences sur les conséquences humanitaires des armes nucléaires.

La montée en puissance de l’initiative humanitaire et l’échec de la conférence d’examen de 2015, couplés à l’incapacité de l’Union européenne de se montrer un acteur diplomatique significatif sur ces questions, en raison des positions diamétralement opposées de certains de ses membres (France – Royaume-Uni, d’une part, Autriche, Irlande de l’autre), sont à l’origine d’efforts de la part de la France et de l’Allemagne pour réfléchir ensemble aux manières d’aborder ces problématiques et ces rendez-vous multilatéraux, et d’éviter l’isolement diplomatique de l’un ou de l’autre. Pour la France, mais aussi d’autres États non nucléaires de l’Alliance, il s’agit de convaincre leurs partenaires européens de la nécessité de prendre en compte l’environnement stratégique réel dans les discussions liées au désarmement. L’Allemagne, de par sa position centrale en Europe, a vocation à jouer un rôle de médiateur, tout en cherchant avec les États dotés des propositions de compromis sur le désarmement permettant de rapprocher les positions européennes.

Néanmoins, la polarisation du débat en Europe et au-delà, illustrée par l’adoption du Traité d’interdiction, complique singulièrement cette mission puisque Berlin n’est pas perçue comme un acteur légitime par les partisans du Traité. En conséquence, la diplomatie allemande se retrouve poussée de manière presque forcée vers les Etats nucléaires, comme l’ensemble des partenaires de l’OTAN, qui sont particulièrement visés par les ONG abolitionnistes du fait de leur vulnérabilité à des opinions publiques très réservées sur le nucléaire.

Dans ce contexte, le moindre activisme de l’Allemagne en faveur du désarmement est perceptible et sera sans doute toujours notable lors de la formation de la nouvelle coalition de gouvernement, car le sujet n’est plus vraiment propice à renforcer le positionnement de l’Allemagne et son influence sur la scène internationale. Cette prise de distance pourrait être mise à profit pour travailler en binôme au sein de l’Union Européenne à la résolution de problèmes concrets dans le domaine de la maîtrise des armements et de la non-prolifération, avec la nécessaire reconnaissance des divergences de vues entre les États membres sur les perspectives plus globales.

Conclusion

En matière nucléaire, trop de choses opposent les deux partenaires pour qu’il soit réaliste ou même souhaitable d’espérer l’adoption de positions communes substantielles en matière de dissuasion. Néanmoins, la détérioration de la sécurité en Europe, les menaces toujours prégnantes dans le reste du monde, et les profonds désaccords qui divisent désormais la communauté internationale concernant la nonprolifération et le désarmement sont autant de raisons pour pousser vers une plus grande concertation et réflexion commune. Cette nécessité découle des vulnérabilités qui sont nécessairement engendrées par des divisions de l’Europe, par exemple dans l’attitude adoptée par Moscou, ou dans les crises de prolifération. Elles sont amplifiées par les prises de décision de la nouvelle administration américaine qui ne sont pas toujours cohérentes avec leurs intérêts nationaux, par exemple la volonté de rouvrir les négociations ayant conduit à l’accord nucléaire iranien. Les deux partenaires ont donc tout intérêt à mieux faire comprendre leurs prises de position et s’informer sur leurs perceptions réciproques, tout en continuant à trouver des sujets de travail en commun et en anticipant les prises de positions communes de l’OTAN ou de l’Union européenne.

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