Extrémisme violent et pratiques opérationnelles émergentes : l’exemple de l’impression 3D d’armes légères
L’extrémisme violent doit, pour continuer à être efficace et faire correspondre ses moyens avec ses buts idéologiques, innover sans cesse d’un point de vue technologique. Il s’agit en effet pour lui – par définition – de contourner ou saturer la résilience de nos sociétés, en particulier celle de l’Etat régalien. Les Etats, en effet, font évoluer leurs réponses sécuritaires, matérielles, organisationnelles et légales en s’adaptant aux évolutions des menacesVoir à ce sujet Jean-Luc Marret, Techniques du terrorisme, Paris, PUF, 2002 (2e édition)..
Ainsi, alors que les détournements d’avion faisaient florès dans les années 1960 et 1970, la technologie de détection des métaux, arrivant à maturité, fut déployée dans des zones spécifiques, désormais sécurisées et hermétiques, des aéroports. Une telle adaptation fut observable à l’identique lorsqu’un certain nombre d’avions civils furent détruits en vol par un engin explosif improvisé associé à un détonateur altimétrique (Lockerbie, 1988 ; Airbus UTA, 1989)Sur ces aspects, voir les séries analytiques chronologiques annuelles produites par la Federal Aviation Administration (FAA), Département américain du Transport, Bureau de la sécurité de l’aviation civile ; voir aussi « 3D Printing Growth Accelerates Again », Deloitte. Insights, 11 décembre 2018 (consulté le 21 avril 2021)..
L’utilisation des drones civils détournés par des organisations terroristes, Daech au premier chef – et pour des fins militaires (propagande, bombardement, renseignement) –, a été une innovation qui a émergé progressivement en Syrie-Irak au milieu des années 2010Ben Watson, « The Drones of ISIS », Defense One, 12 janvier 2017 (consulté le 19 février 2021).. De ce point de vue, il semble y avoir eu deux types de filières : la « militarisation » de drones civils chinois ; l’emploi de drones d’origine iranienne livrés par Téhéran aux organisations non étatiques armées dans son orbite (Houthis, Hezbollah et HAMAS). Cette technologie, dans ses utilisations « asymétriques », est désormais mature et nous devrions voir son emploi progresser.
Il est actuellement une autre technologie émergente qui intéresse de manière croissante un certain nombre de réseaux communautaires extrémistes violents : l’utilisation de l’impression 3D pour fabriquer des armes légères individuelles improvisées.
Principes techniques
Il existe désormais des imprimantes 3D peu coûteuses, d’entrée de gamme, et cette technologie est suffisamment mûre pour désormais quitter les mondes du prototypage et de l’industrie et accéder au grand public dans un marché en développement fort« 3D Printing Growth Accelerates Again », op. cit..
Apparue au début des années 2000, l’impression 3D consiste en la fabrication de pièces volumiques par ajout de matières en couches successives depuis une modélisation numérique en 3D obtenue par le recours à un outil de conception assistée par ordinateur (CAO), type AutoCad ou logiciels libres similaires. Le fichier numérisé ainsi obtenu est traité par un logiciel d’interface plan-machine qui découpe la numérisation 3D de l’objet obtenu en couches que peut (re-)produire l’imprimante 3D (projection de liant, extrusion de matières, photopolymérisation, laminage).
L’imprimante 3D utilise des résines chauffées (sous forme de bobines déroulées) pour produire progressivement l’objet considéré, ou, pour ce qui concerne le thème du présent article, les différentes pièces d’une arme (culasse, crosse, etc.). Certaines parties, toutefois, nécessitent d’être achetées, car les propriétés physiques ou mécaniques des résines utilisables ne sont pas encore suffisamment performantes. On notera que de telles pièces, le plus souvent métalliques, sont achetables tout à fait légalement aux Etats-Unis.
3D et extrémisme violent
Dans les faits, il semble que les milieux occidentaux survivalistes, pro-armes et « accélérationnistes » (voir supra) soient pour l’heure les plus intéressés par cette technologie, ce qui pourrait rester le cas sur le moyen terme. Les réseaux communautaires « accélérationnistes », très marginaux mais ultra-violents, considèrent qu’il faut « accélérer » l’Histoire au moyen d’un attentat, même perpétré par un seul individu (à l’image de Breivik, Norvège, 2011), afin de montrer une fois pour toutes la nature « décadente » et anti-libertés des sociétés démocratiques « multi-culturalistes ». On notera qu’une partie de ces réseaux communautaires considère toutefois que vivre en isolement, dans une perspective survivaliste, est mieux à même de les protéger contre ce qu’ils perçoivent comme la décadence inéluctable de nos sociétés.
L’intérêt concret de la fabrication 3D pour les ultra-droites les plus violentes s’explique sans doute par plusieurs raisons : d’abord, ces franges existent dans des pays occidentaux (mais aussi en Russie), où la législation sur (et à dire vrai contre) les armes se renforce progressivement, quand elle n’est pas dès à présent prohibitive. Il est de ce point de vue symptomatique que ces dix dernières années, ce sont les milieux américains pro-armes et survivalistes qui se sont intéressés et ont conçu le plus de protocoles de fabrication pour ce type d’armes individuelles improvisées. Il s’agit pour eux à la fois d’exercer ce qu’ils perçoivent comme leur liberté individuelle, garantie par la Constitution américaine, et de posséder des armes avec le minimum de restrictions. Pour les militants de pays possédant une législation restrictive, en Europe occidentale pour l’essentiel, ce type de production autonome d’armement permet de contourner les contrôles légaux existants, l’identification ou l’enregistrement administratif lors d’un achat d’une arme aux calibre et caractéristiques inférieurs aux modèles reproductibles dès à présent par impression 3D. C’est enfin un moyen d’échapper aux aléas d’un achat clandestin sur le marché noir.
Jusqu’à présent, la mouvance djihadiste globale ne semble pas avoir montré un intérêt autre que ponctuel – ainsi Daech pour la fabrication de certaines composantes nécessaires à la militarisation de drones civils. Hors d’Occident, les organisations djihadistes agissent dans des pays où les armes légères, y compris automatiques et à tir rapide, prolifèrent. Pour les djihadistes agissant en Occident, il apparaît que se procurer des armes de ce type sur le marché noir n’est non seulement pas un problème, mais un standard. Il existe de ce point de vue des protocoles ou méthodes d’acquisition diffusés depuis plusieurs années dans ces franges radicales.
Quant à l’ultra-gauche violente occidentale (Europe et Amérique du nord), ses cibles actuelles paraissent essentiellement matérielles et « anticapitalistes » (destruction de tours 5G, de locaux d’entreprises, infiltration de manifestations, etc.), et elle n’a semble-t-il jamais exprimé d’une manière consistante un intérêt de principe envers les armes 3D. Par contraste, il est frappant de constater combien son intérêt pour le hacking est largement plus intense.
Les armes 3D
Sans entrer dans le détail pour des raisons éthiques évidentes, constatons toutefois qu’il y a, depuis une dizaine d’années, une R&D constante au sein des réseaux communautaires extrémistes décrits ci-dessus, au point que certains modes de fabrication sont désormais « protocolisés », reproductibles, et qu’ils commencent à être diffusés, y compris sur les réseaux communautaires cryptés francophones.
Les différents verrous technologiques ont tous peu à peu été dépassés, de sorte qu’il existe actuellement plusieurs types d’armes légères 3D, reproductibles, qui sont opérationnelles (par exemple le Fuck Gun Control -9, ou FCG-9, ou la Plastikov). Une des premières armes de ce type fut le Liberator en 2013. De nouvelles sont en en cours d’essai, parfois déjà en version beta (ainsi le Vanguard Arms Pathfinder, dérivé du FCG-9 et du revolver serbe GB-22). Ci-dessous, une variante du FCG-9 :
Source : https://concealedpatriot.net/2020/04/05/fcg-9-3d-gun-the-plastic-arm-of-the-free-world-video/ (consulté le 28 avril 2021)
Il est probable, de ce point de vue, que le FCG-9 soit un modèle précurseur qui fera l’objet de nombreuses améliorations et variantes, en fonction de la baisse des coûts de production de la technologie 3D. À ce stade, toutefois, peu d’actions violentes ont été perpétrées au moyen de ce type d’armes improvisées.
Cette technologie récente est porteuse de développements potentiels qui sont problématiques pour la sécurité publique, mais aussi, par principe de précaution, pour nos Armées engagées, aujourd’hui ou demain, dans des opérations extérieures ou domestiques (type Vigipirate).
Extrémisme violent et pratiques opérationnelles émergentes : l’exemple de l’impression 3D d’armes légères
Note de la FRS n°14/2021
Jean-Luc Marret,
29 avril 2021