L’interdiction des essais nucléaires : fragilité juridique, réussite stratégique, incertitudes politiques
État des lieux
75 ans après l’explosion d’Alamogordo (16 juillet 1945), le Traité d’interdiction complète des essais va mal, mais la norme existe ; l’Organisation va plutôt bien, mais son succès reste fragile. Ainsi pourrait-on résumer le bilan de l’interdiction des essais nucléaires.
En 2020, 184 pays avaient signé le TICE et 168 l’avaient ratifié. Le Traité s’approche du « plafond de verre ». Sur les 44 pays dont la ratification est nécessaire pour l’entrée en vigueur aux termes de l’annexe II du texte, les huit « réfractaires » ne montrent guère de signes de retournement de leur position et trois d’entre eux (Inde, Pakistan, Corée du Nord) ne l’ont même pas signé.États de l’annexe II ayant signé mais non ratifié : Chine, Égypte, États-Unis, Iran, Israël. Et hors États de l’annexe II, très peu de pays significatifs manquent encore à l’appel à l’exception de l’Arabie saoudite et de Cuba.
Mais l’Organisation va bien. La Commission préparatoire de l’OTICE est désormais une véritable organisation internationale, en droit et en pratique.Gabriella Venturini, « The CTBTO PrepCom at twenty: beyond the CTBT? », The Nonproliferation Review, vol. 23, n° 3-4, 2016. Elle est gouvernée par une Commission plénière comprenant tous les États membres. Son Secrétariat technique (lui aussi « provisoire ») comprend près de 300 personnes provenant de 87 États membres, son budget étant financé pour plus de 50% par les grands États occidentaux.
Toujours en 2020, près de 90% des stations du système de surveillance de l’OTICE étaient certifiées (sur 337 prévues). Le système permet une couverture permanente et en temps réel par des moyens de détection sismique, hydroacoustique, infrasonore, et radiologique. Depuis la signature du traité, les progrès technologiques (capteurs, traitement des données, modélisation…) et l’accès à des moyens complémentaires non envisagés à l’époque (imagerie satellitaire) ont permis à l’organisation non seulement de valider son concept, mais surtout d’aller bien au-delà.
Dans le domaine de son objet immédiat, le système a confirmé sa capacité à détecter dans certaines conditions des explosions d’une énergie « largement inférieure » à une kilotonne (le seuil exact dépendant de la localisation et du bruit de fond ambiant qui varie au cours du temps).Entretiens à l’OTICE, Vienne, 20 novembre 2019. La détection de l’essai nord-coréen de 2006 avait constitué une première démonstration (magnitude estimée : 4,08), mais nombre de progrès ont été réalisés depuis. Le seuil de détection sismique est actuellement de magnitude 3,2 dans l’hémisphère nord et 3,4 au niveau mondial.
À noter également la participation active, désormais, de la Chine au système : celle-ci a procédé à ses premiers envois de données en 2014, et une première station sur son territoire a été certifiée en 2016 (et quatre autres en 2017).
L’importance prise par les applications civiles du système de surveillance constitue une autre « bonne surprise » du bilan de l’OTICE. Le tsunami indonésien et l’accident de Fukushima ont été, à cet égard, fondateurs – et les États membres ont sagement encouragé le développement de ces applications, qui pourraient connaître d’autres développements (domaine infrasonore notamment, pour les sciences de l’atmosphère). Les stations hydroacoustiques ont montré des performances remarquables (11 stations suffisant à couvrir le globe) et pourront être mises à contribution dans d’autres champs : surveillance du trafic maritime, de l’environnement, des accidents, suivi des migrations de baleines, etc.
Et maintenant ?
L’interdiction des essais semble de plus en plus prendre la forme d’une norme, consolidée par le Conseil de sécurité (résolution 2310, septembre 2016). Depuis vingt ans, un seul État, la Corée du Nord, ne l’a pas respectée. Les États nucléaires qui n’ont pas ratifié le traité ont respecté leurs moratoires respectifs. On peut parler de véritable réussite stratégique.
Toutefois, l’entrée en vigueur du Traité reste improbable à court terme :
- Les laboratoires américains reconnaissent désormais que les programmes de simulation sont suffisamment avancés pour se passer des essais. Toutefois, l’équilibre actuel au Sénat américain ne permet pas aujourd’hui d’envisager une réversion de la décision prise en 1999 par 51 sénateurs (il en faudrait 67 pour une ratification). De plus, une ratification américaine supposerait que les milieux républicains soient satisfaits du comportement de la Russie et de la Chine – un argument majeur du débat principal ayant été, à l’époque, la supposée non-acceptation par Moscou et Pékin de « l’option zéro » et leur interprétation jugée favorable aux expériences hydro-nucléaires au-delà du seuil de criticité.
- La Chine, comme on le sait, s’abrite derrière la décision américaine de 1999 et se contente de rappeler que le calendrier législatif chinois suit son cours.« The Chinese Government has submitted the Treaty to the National People's Congress (NPC). NPC will consider and ratify the Treaty according to the due legal procedures ». (China’s Position on CTBT, 2004, Permanent Mission of the PRC to the United Nations and other International Organizations in Vienna website).
- L’Inde ne montre aucun intérêt particulier pour se joindre au Traité et le Pakistan reste pour l’essentiel fidèle à sa stratégie de suivisme dans ce domaine vis-à-vis de New Delhi, même s’il montre une capacité de s’en démarquer (étant observateur à l’OTICE).
- Israël a confirmé sa décision de principe de ratifier le Traité le moment venu (« not if, but when » aiment à rappeler les responsables israéliens) ; mais la remontée en puissance du programme nucléaire iranien rendrait, dans les circonstances actuelles, cette décision plus difficile.
- L’Iran ne donne aucun signe tendant à montrer qu’il serait prêt à ratifier le Traité – surtout dès lors qu’un tel geste n’avait pas été prévu par l’accord sur le nucléaire de 2015 (JCPOA).
- « L’arrêt » des essais nucléaires nord-coréens et le « démantèlement du site septentrional » annoncés en avril 2018 par Pyongyang ne laissent nullement transparaître l’idée d’une renonciation définitive. Les États parties au Traité évoquent prudemment, à juste titre, un « moratoire » et « les efforts en vue du démantèlement du site de Punggye-ri ».« Efforts towards the dismantlement of the Punggye-ri site ». Conference on Facilitating the Entry into Force of the Comprehensive Test Ban Treaty, Final declaration and measures to promote the entry into force of the Comprehensive Test Ban Treaty, New York, 25 septembre 2019. En outre, fin 2019, la Corée du Nord a annoncé ne plus être liée par les moratoires déclarés.
Quant à l’option d’une entrée en vigueur « provisoire », parfois défendue et concevable aux termes de la Convention de Vienne sur le droit des traités, elle est à ce stade difficilement réalisable faute d’accord entre les États parties.
Cette situation n’est pas satisfaisante : si la norme est réelle et l’organisation efficace, l’entrée en vigueur du Traité équivaudrait à un saut considérable en termes juridiques, politiques et stratégiques pour l’interdiction des essais et sa vérification (obligation de transmission des données, inspections sur place…). Elle permettrait sans doute à l’Organisation de franchir les dernières étapes qui lui restent avant la mise en condition opérationnelle totale (stations les plus difficiles à mettre en place ; benchmarking de la détection des gaz radioactifs au regard des activités anthropiques ; renouvellement des logiciels de traitement des données…) et sans doute de la mettre dans une meilleure situation financière (réserves budgétaires constituées pour faire face au coût de réparation des stations en cas d’incident…).
Sans entrée en vigueur, l’Organisation reste tributaire de la bonne volonté des États membres (contributions financières ; transmission des données…) et vulnérable à des gestes unilatéraux, notamment en cas de crise politique majeure suscitée, de bonne foi ou non, à propos du comportement allégué d’un État membre. Une « désignature » américaine (juridiquement, un vote d’intention de non-ratification) aurait un effet dévastateur sur l’organisation – y compris en termes budgétaires, puisque Washington contribue pour plus de 22% à son budget.
La controverse sur les expériences russes et chinoises
Le 29 mai 2019, le directeur de la DIA avait prudemment évoqué l’hypothèse d’une violation du traité par la Russie du fait, peut-on penser, de la conduite alléguée d’expériences hydro-nucléaires surcritiques en Nouvelle-Zemble : « la Russie n’est probablement pas en conformité avec son moratoire sur les essais nucléaires d’une manière cohérente avec le standard ‘zéro-énergie’ décrit dans le Traité d’interdiction complète des essais de 1996 », en rappelant qu’elle avait la « capacité » de procéder à des expérimentations hydro-nucléaires surcritiques et sans prétendre que Moscou avait effectivement procédé à des expériences de nature à violer le Traité.« Russia is probably not adhering to its nuclear testing moratorium in a manner consistent with the ‘zero-yield’ standard outlined in the 1996 Comprehensive Test Ban Treaty » Remarks at the Hudson Institute, 29 mai 2019. Les expériences hydronucléaires (qui utilisent de la matière fissile, au contraire des expériences hydrodynamiques) sont autorisées par le Traité à condition qu’elles soient sous-critiques. Cette déclaration a été appuyée par Tim Morrison (Conseil national de sécurité).« We believe that Russia has taken actions to improve its nuclear weapons capabilities that run counter or contrary to its own statements regarding the scope of its obligations under the treaty ». Cité in Daryl G. Kimball, « US Questions Russian CTBT Compliance », Arms Control Today, juillet-août 2019.
Quelques jours plus tard, la DIA avait clarifié son jugement, en précisant implicitement qu’il s’agissait bien d’une évaluation technique : « Le gouvernement américain, y compris la Communauté du renseignement, estime que la Russie a procédé à des essais d’armes nucléaires [sic] ayant produit un dégagement d’énergie nucléaire ».« The US government, including the Intelligence Community, has assessed that Russia has conducted nuclear weapons tests that have created nuclear yield ». Cité in Daryl G. Kimball, « US Questions Russian CTBT Compliance », Arms Control Today, juillet-août 2019. Sans toutefois aller plus loin, ni en qualifiant son jugement (degré de confiance…) ni en précisant si elle se référait à des activités récentes.Par ailleurs, en émettant un doute sur la nature de l’engagement russe en 1996 en faveur du seuil « zéro énergie », le général Ashley a semé le trouble : tout indique au contraire que la Russie, comme les quatre autres puissances nucléaires, avait adhéré à ce principe.
La Russie a nié être en contravention avec ses engagements, sans toutefois préciser la nature exacte de ceux-ci s’agissant des essais hydro-nucléaires. Il est vrai que les témoignages russes quant à la nature des expériences conduites par le pays, minutieusement recensés par l’expert Mark Schneider, sont parfois de nature à appuyer ces suspicions.Mark B. Schneider, « Yes, the Russians Are Testing Nuclear Weapons and It Is Very Important », Real Clear Defense, 8 août 2019. Et les déclarations russes récentes confirmant le caractère absolu de la prohibition par le Traité des essais voyant un dégagement d’énergie nucléaire sont plus rares. Toutefois, la dernière, datant de 2017, a été coécrite par le ministre adjoint des Affaires étrangères et le Secrétaire exécutif de la Commission préparatoire.Dans un texte signé par Sergueï Ryabkov, ministre adjoint des Affaires étrangères, précisant que le Traité « prohibits ‘any nuclear weapon test explosion or any other nuclear explosion’, anywhere on Earth, whatever the yield ». Cité in Daryl G. Kimball, « US Questions Russian CTBT Compliance », Arms Control Today, juillet-août 2019. En outre, M. Lavrov, le ministre des Affaires étrangères, a fait savoir lors de la Conférence sur l’Article XIV de septembre 2019 que la Russie « n’avait pas procédé à une seule explosion nucléaire » depuis 1991.« Not staged a single nuclear explosion » Cité in Shannon Bugos, « Countries Urge Entry into Force of Nuclear Test Ban at UNGA », Arms Control Association, 7 octobre 2019. L’OTICE n’estime pas qu’il y ait ici un problème.Entretiens à l’OTICE, Vienne, 20 octobre 2019.
Les suspicions américaines sur le degré d’adhésion de la Russie au standard du Traité sont très anciennes.L’administration américaine a également fait état de ses interrogations quant à l’adhésion totale de la Chine à la norme du « zéro énergie ». Déjà, au début des années 2000, les responsables américains faisaient état de celles-ci auprès de leurs homologues français. Le rapport de la Commission Schlesinger (2009) affirmait ainsi que la Russie (et « peut-être » la Chine) procédait « apparemment » à des « essais de faible puissance ».« Apparently Russia and possibly China are conducting low-yield nuclear tests ». Statement by Republican members of the Congressional Commission on the Strategic Posture of the United States, 2009. Mais c’est la première fois que les États-Unis sont aussi clairs dans une déclaration officielle. La précision de langage (« y compris la Communauté du renseignement ») avait sans nul doute pour but de couper court à toute interprétation politique : mais force est de constater que les « bruits » américains sur ce dossier ont été émis, cette fois comme il y a plus de quinze ans, alors que M. John Bolton était en fonctions (au Département d’État sous Bush, à la Maison Blanche sous Trump). D’où l’hypothèse d’une « désignature », poussée par quelques sénateurs républicains.
La fermeture temporaire de plusieurs stations russes de surveillance des radionucléides suite au grave accident – essai de propulseur – survenu le 8 août 2019, relevée par la presse internationale, a remis brièvement la question sur le devant de la scène et pu faire craindre un renouveau de la tentation américaine d’un retrait du Traité.Cet événement a également rappelé la sensibilité de la question de la transmission en temps réel des données. La question a semblé moins prégnante depuis le départ de M. Bolton, ainsi que de son adjoint M. Morrison, de la Maison blanche. Le rapport du Département d’État publié après la controverse du printemps (août 2019) se bornait à stipuler que « durant la période 1995-2018, la Russie a probablement procédé à des expériences liées aux armes nucléaires », ce qui pouvait générer des préoccupations quant au « respect de ses obligations de notification au titre du TTBT », et surtout de son interprétation du « zéro énergie ».Adherence to and Compliance with Arms Control, Nonproliferation, and Disarmament Agreements and Commitments, Départment of State, août 2019.
Toutefois, elle est redevenue d’actualité en 2020, lorsque le rapport du Département d’État est devenu plus affirmatif (« a procédé à des expériences liées aux armes nucléaires ayant dégagé une énergie nucléaire », mais sans indication précise de date), indiquant de ce fait que la question du respect des obligations russes au titre du TTBT et de son engagement envers le « zéro énergie » était désormais posée.Adherence to and Compliance with Arms Control, Nonproliferation, and Disarmament Agreements and Commitments, Départment of State, juin 2020.
Le langage est également différent sur la Chine : le rapport de 2019 mentionnait la « conduite probable de multiples expériences ou essais liés aux armes nucléaires », d’où des « questions relatives à son adhésion au zéro énergie » et des « préoccupations relatives à l’adhésion à son moratoire » ; le rapport de 2020 replace ces préoccupations dans le cadre plus large du « haut niveau d’activité sur le site de Lop Nor », ainsi que des travaux d’excavation en cours sur le site.Cf. supra. Ces éléments ont nourri une controverse publique aux États-Unis. La plupart des analystes restent prudents, notant que la rédaction du Département d’État ne donne aucune prise à des accusations précises, et soulignant que les travaux en cours au Lop Nor ne sont pas incohérents avec un aménagement des installations destinées aux essais sous-critiques.Voir par exemple « Renewed Nuclear Testing in China? », Arms Control Wonk, 22 mai 2020. Mais la relation, par le biais d’un article du Washington Post (26 mai 2020), d’une discussion officielle sur la possible conduite d’un essai par les États-Unis (cf. infra.), suggère que les suspicions exprimées publiquement par les États-Unis sont activement exploitées au niveau politique.
L’avenir de la norme
La fragilité de l’organisation est une chose – celle de la norme elle-même en est une autre. Certes, la solidité de cette dernière semble aujourd’hui assez assurée. Mais quid si un État signataire s’estimait contraint, pour garantir la fiabilité ou la sécurité de ses armes, de procéder à une nouvelle campagne d’essais ? Les États-Unis, notamment, n’ont jamais caché qu’ils n’hésiteraient pas, dans de telles circonstances, à procéder à une telle campagne si un défaut majeur était repéré dans l’une des formules d’armes en service, dès lors que la gamme des armes en service s’est réduite.
En mai 2020, la possibilité d’un essai de démonstration aurait été évoquée lors de réunions internes au plus haut niveau. En l’absence de besoin technique exprimé, seul un essai « simple » (au sens de la NNSA) pourrait être réalisé dans un délai de quelques mois. Un tel geste politique pourrait avoir pour vocation soit de pousser la Chine à se joindre au processus de désarmement, soit tout simplement de manifester le désir de l’actuelle administration de ne plus être liée par de quelconques contraintes multilatérales. Du fait de la publicité donnée à ce débat par les activistes du désarmement, Moscou et Pékin ont pu se présenter en défenseurs de la norme – sans pour autant réitérer à cette occasion leur attachement au « zéro énergie »…Voir notamment les réactions russe et chinoise au communiqué du Group of Eminent Persons de l’Otice. « Russia supports experts’ call in support of nuclear tests ban », Tass, 4 juin 2020, et « China urges U.S. to honor commitment of suspending nuclear tests: spokesperson », Xinhua, 8 juin 2020 ». On relèvera que les opinions occidentales se montrent en tout cas très critiques à l’égard de la conduite de nouveaux essais.Stephen Herzog et al., « Donald Trump Could Lose the Election by Authorizing a New Nuclear Weapons Test », The National Interest, 23 juin 2020. Enquête réalisée en 2019 dans onze pays occidentaux.
À l’inverse, une ou plusieurs signatures voire ratifications de la part des « réfractaires » actuels pourrait engager une dynamique positive. Celle d’Israël, par exemple – le prochain État qui accèderait pleinement au Traité selon le Secrétaire exécutif, s’exprimant en 2016Massimiliano Moretti, « The past, present, and future of the CTBT(O): a conversation with the Executive Secretary », The Nonproliferation Review, vol. 23, n° 3-4, mars 2017. – rendrait plus difficile l’abstention des États du Moyen-Orient concernés (notamment l’Égypte et l’Iran). Celle du Pakistan, qui n’est pas inimaginable, exposerait l’Inde à des pressions importantes. Celle de la Corée du Nord – pourquoi pas – mettrait la Chine dans l’embarras. Et celle de Pékin affaiblirait, aux États-Unis, le camp des opposants au Traité.
Dans cette attente, d’autres gestes pourraient consolider le régime d’interdiction : la multiplication des États observateurs (Cuba, Pakistan…) ou la transmission de données par tous les États signataires (Iran…).
La norme émergente de l’interdiction des essais nucléaires reste fragile : comme le dit l’un des meilleurs experts américains du sujet, « la norme de ‘non-essai’ ne peut être tenue pour acquise et, au fil du temps, doit être activement renouvelée et renforcée ».« The non-testing norm cannot be taken for granted and, over time, it must be actively renewed and reinforced » Daryl G. Kimball, Revitalizing Diplomatic Efforts to Advance CTBT Entry Into Force, Policy White Paper, Arms Control Association, 25 avril 2018. C’est pourquoi la consolidation de l’organisation et de sa capacité à remplir efficacement sa mission, mieux même que ses concepteurs l’avaient imaginée, est indispensable.
Cette consolidation est encore plus importante à l’heure où un autre instrument normatif, le Traité de non-prolifération nucléaire, est contesté par les supporters d’une approche plus radicale (le Traité d’interdiction des armes nucléaires). Or le TICE est un pilier essentiel du régime de non-prolifération. Comme le rappelle l’ancien ambassadeur américain Thomas Graham, l’une des voix les plus respectées du milieu de la non-prolifération nucléaire, « lorsque le TNP fut signé en 1968 et lorsqu’il fut prorogé en 1995, de loin la plus importante des ‘mesures efficaces [dans la voie du désarmement nucléaire mentionnées dans le préambule et l’article VI]’ était le TICE, (..) le ‘liant’ essentiel du TNP »« When the NPT was signed in 1968 and when it was permanently extended in 1995, the most important of these ‘effective measures [in the direction of nuclear disarmament mentioned by the Preamble and Article VI] was the CTBT (...) the essential ‘glue’ that holds the NPT together ». Ambassador Thomas Graham Jr., « The Once and Future Threat of Nuclear Weapon Testing », Just Security, 30 août 2019.. La nécessité d’une interdiction complète des essais est d’ailleurs, on le sait, explicitement mentionnée dans le Préambule du TNP.
La mise en cause du TICE serait ainsi une forme de mise en cause de l’esprit du TNP lui-même. À l’inverse, la consolidation de l’interdiction des essais, a fortiori l’entrée en vigueur du Traité lui-même, affermirait l’ensemble du régime.
L’interdiction des essais nucléaires : fragilité juridique, réussite stratégique, incertitudes politiques
Note de la FRS n°53/2020
Bruno Tertrais,
16 juillet 2020