Guerre en Syrie : risques et enjeux d’une normalisation du régime de Damas
Recherches & Documents n°18/2021
Pierre Boussel,
16 décembre 2021
Dix ans après le début des combats en Syrie, l’option d’une normalisation des relations diplomatiques avec Damas s’impose progressivement à l’agenda des capitales arabesDix-huit des vingt-deux États membres de la Ligue arabe ont voté la « suspension de l’adhésion de la Syrie à toutes ses réunions » suite au refus de Damas d’adopter son plan de règlement du conflit (16 novembre 2011). Le président Assad est impatient d’entamer les travaux de reconstruction de la Syrie pour un coût estimé entre 250 et 400 milliards $Avec le soutien de l’Iran, le régime de Damas organise depuis 2015 un salon annuel « Reconstruire la Syrie » qui accueille des investisseurs étrangers.. Malgré la poursuite de la guerre et un contrôle partiel du territoire (65 %), il espère capitaliser sur la résilience de son régime qui, c’est un fait, a déjoué les analyses qui prévoyaient son effondrement aux premiers mois de la révolution.
La guerre civile s’est aujourd’hui figée en un écheveau de tensions militaires concentriques, sans vaincu ni vainqueur. Au nom du principe de réalité, en clair l’incapacité des parties à mettre fin au conflit, il est désormais question de réouvertures d’ambassades et de postes frontières, et d’un retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe. La TunisieLe 27 septembre 2021 à New-York, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, le ministre syrien des Affaires étrangères Faisal al-Miqdad a rencontré son homologue tunisien, Othman al-Garandy – une première depuis leur rupture diplomatique en 2012. et la Mauritanie ont envoyé leurs ambassadeurs à Damas. Le Premier ministre libanais attend l’aval de la communauté internationale pour rencontrer Assad« ميقاتي-لن-أزور-سوريا-من-دون-موافقة-المجتمع-الدولي » (Mikati : « Je ne visiterai pas la Syrie sans l’approbation de la communauté internationale. »), Syria TV, 28 septembre 2021.. Les Émirats arabes unis (EAU) réclament la levée des sanctions économiquesAlors que le chef de la diplomatie des Émirats, Abdallah ben Zayed Al-Nahyane, s’entretenait avec le président Assad à Damas, le 9 avril 2021, les États-Unis ont rappelé leur désapprobation quant à toute initiative favorisant une réhabilitation du président syrien, accusé d’être « un dictateur brutal » par Ned Price, porte-parole de la diplomatie américaine. . Le Caire appuie le mouvement car il y perçoit l’opportunité de resserrer les rangs arabes face à l’hégémonisme turcLes ministres égyptien et syrien des Affaires étrangères, Sameh Shoukry et Faisal Mekdad, se sont rencontrés en marge de l’Assemblée générale des Nations unies le 24 septembre 2021 pour faire le point sur leurs relations bilatérales. À l’issue de cette rencontre, Sameh Shoukry a affirmé que l’Egypte sera « active » pour aider la Syrie à retrouver sa « position dans le cadre de la sécurité nationale arabe ».. Bagdad, l’une des rares capitales à n’avoir jamais rompu les liens, travaille au rapprochement de deux puissances impliquées dans ce conflit : l’Iran, fidèle soutien de Damas, l’Arabie saoudite, argentier de groupes rebelles au début de la guerre civileLes déclarations du prince Sattam bin Khaled dénonçant la responsabilité personnelle du président Assad ont impacté les ardeurs de la diplomatie syrienne, qui se tenait prête à réactiver ses liens avec Riyad. Les contacts informels se poursuivent entre le général de division Khaled Humaidan, chef des renseignements généraux saoudiens, et le général syrien Ali Mamlouk, connu pour être l’un des principaux interlocuteurs des forces armées russes («الغارديان: رئيس المخابرات السعودية يلتقي مسؤولين في النظام السوري في دمشق » [Le chef du renseignement saoudien rencontre des responsables du régime syrien à Damas], Al Quds, 4 mai 2021).. Enfin, la diplomatie jordanienne se mobiliseSelon le média syrien Athr Press, le ministre jordanien des Affaires étrangères, Ayman al-Safadi, a admis en novembre 2021 que la Jordanie a eu des entretiens préalables avec Washington avant d’engager une politique de rapprochement avec la Syrie.. Le roi Abdallah II affirme la nécessité d’un « rôle arabe collectif »« الخارجية الأردنية: الحل في سوريا مرهون بحوار أمريكي-روسي ودعم عربي », (Le ministère jordanien des Affaires étrangères : « La solution en Syrie dépend d’un dialogue américano-russe et du soutien arabe. »), Enab Baladi, 23 septembre 2021. Le roi de Jordanie s’en est entretenu avec les présidents Poutine, Biden durant l’été 2021, ainsi que l’israélien Herzog lors d’une rencontre discrète à Amman en septembre de la même année. et développe l’idée d’un pré-accord : alléger le train de sanctions américainesPromulguée par l’administration Trump en 2020, la loi César (Caesar Syria Civilian Protection Act) sanctionne tout soutien financier ou matériel au régime de Damas. en échange d’une réduction de la présence iranienne en Syrie. À cela s’ajoute une série d’initiatives : appel téléphonique Abdallah II/Assad, réouverture du poste frontière de Jaber« الأردن يسرّع عجلة التطبيع مع الأسد.. و"أسبوع" لحل المشكلات » [La Jordanie accélère le processus de normalisation avec Assad. Une semaine pour résoudre les problèmes], Al Souria, 27 septembre 2021., réactivation de l’accord de Yarmouk sur le partage des eaux.
Si des activités liées à la Ligue arabe ont repris à Damas, quelques programmes annexesL’Union arabe pour les familles productives et les industries traditionnelles et développées, organisation affiliée au Conseil de l’unité économique arabe, lui-même travaillant dans le giron de la Ligue Arabe, a inauguré son bureau régional à Damas en février 2021. « الجامعة العربية تنشط في دمشق والسفير الموريتاني يباشر مهامه », (La Ligue Arabe s’active à Damas et l’ambassadeur mauritanien prend ses fonctions), Asharq Al Awsat, 9 février 2021., son Secrétaire général, Ahmed Aboul Gheit, rappelle qu’un retour de la Syrie au sein du cénacle arabe nécessiterait impérativement un « consensus ». Pour l’heure, aucune demande officielle n’a été formulée en ce sens« أبو الغيط يحدد شرطًا لحضور النظام السوري القمة العربية في الجزائر » [Aboul Gheit pose une condition à la participation du régime syrien au sommet arabe en Algérie], Enad Baladi, 28 octobre 2021.. La Ligue continue de recevoir les délégations de l’opposition syrienneLe 22 septembre 2021, Ahmed Aboul Gheit s’est entretenu avec une délégation de l’opposition syrienne en marge de la 76ème session de l’Assemblée générale des Nations unies. Étaient présents Salem al-Meslet, président de la Syrian Opposition Coalition (SOC) et Anas Abdah, président de la commission de négociation syrienne. et, dans un souci d’équité et reste à l’écoute du lobbying des pays favorables à une normalisation de Damas, motivés par des considérations socio-économiques (Liban, Jordanie, EAU), sécuritaires (Irak, Égypte) ou panarabes (Algérie, Mauritanie). L’option d’une présence syrienne au prochain sommet de la Ligue arabe en mars 2022 à Alger est actuellement discutée en chancelleries. Damas pourrait se voir attribuer le statut d’observateur, hypothèse indicatrice de l’émergence d’un courant majoritaire disposé à rompre l’isolement de la SyrieD’aucuns tentent d’accélérer le processus. L’hypothèse de la présence du président Assad au dernier sommet de Bagdad fut évoquée par les médias arabes avant d’être sèchement démentie(« Iraq denies inviting President Assad to regional summit », Asharq Al-Awsat, 17 août 2021)..
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Pierre Boussel,
16 décembre 2021